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Décroissance Ile de France
29 février 2020

ÉNERGIE : « SI LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE PAR LE NUCLÉAIRE EST LE CHOIX DE LA TECHNOCRATIE FRANÇAISE, IL FAUT LE DIRE CLAIREMENT »

 
  La députée Marjolaine Meynier (LRM) déplore, dans une tribune au « Monde », la contradiction entre l’affichage politique d’une transition par les « renouvelables » et une réglementation qui favorise la seule électricité nucléaire.

Tribune : Dans les romans de science-fiction d’Isaac Asimov (1920-1992), il existe trois lois, connues de tous, qui s’appliquent aux robots. Tout d’abord, un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, en restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger. Ensuite, un robot doit obéir aux ordres qui lui sont donnés par un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi. Enfin, un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi.

La sécurité de l’humanité passe avant celle d’un individu

Toutefois, au long des romans d’Asimov, il apparaît que les robots ont créé, sans le dire à personne, une loi dite « loi zéro » précédant toutes les autres : la sécurité de l’humanité passe avant celle d’un individu. Cette loi cachée de la robotique est, dans les romans, à l’origine de toutes les dérives, et notamment de robots prétendant dominer l’humanité pour la sauver malgré elle.

Existerait-il une « loi zéro » de la transition énergétique en France ? Les objectifs de la transition énergétique semblent clairs et tenir en trois principes simples : d’abord, supprimer les consommations inutiles (sobriété). Puis, réduire les consommations restantes chaque fois que c’est possible avec un apport technologique (efficacité énergétique). Ensuite, pour les consommations qui ne peuvent être supprimées, favoriser les énergies faibles en carbone (substitution).

Aucune énergie n’est totalement décarbonée

Ce sont les « trois grandes lois » affirmées de la transition énergétique qui valent pour tous les secteurs. Ces lois, dans cet ordre, sont importantes. D’abord parce qu’aucune énergie n’est totalement décarbonée (même le nucléaire et les éoliennes génèrent du CO2). Ensuite parce qu’aucune production énergétique n’est totalement sans effet environnemental (déchets nucléaires, batteries au lithium…). Enfin, parce que c’est la seule solution vraiment vertueuse économiquement : non seulement pour les ménages, mais aussi à long terme pour l’État.

L’absence de consommation signifie qu’il n’est plus utile de construire de nouvelles centrales électriques coûteuses, de les entretenir ou de les renouveler. La meilleure énergie, on ne le répétera jamais assez, est celle que l’on ne consomme pas. Il semblerait néanmoins que la transition énergétique française obéisse à une sorte de « loi zéro », secrète et tacite, précédant ces trois principes, comme dans les romans d’Isaac Asimov sur la robotique : à savoir qu’il faudrait favoriser, coûte que coûte, l’électrification…

L’électricité, on le sait, n’est pas une énergie primaire, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de la fabriquer, et que cette fabrication requiert à son tour de l’énergie

Aujourd’hui, nombre d’outils de transition, obscurs pour la plupart des gens, semblent pointer tacitement vers cet objectif, au détriment parfois de la rigueur scientifique ou même des objectifs… de transition énergétique. Voici quelques exemples. L’électricité, on le sait, n’est pas une énergie primaire, c’est-à-dire qu’il est nécessaire de la fabriquer, et que cette fabrication requiert à son tour de l’énergie.

Pour la production nucléaire, il est communément admis que le rendement est de 33 % : ainsi, quand le consommateur paie 1 kWh en énergie finale, il en aurait en réalité consommé trois fois plus : le coefficient de conversion est de 3. Avec l’énergie solaire, puisqu’on capte une énergie déjà présente et gratuite, il suffit juste d’amortir l’énergie nécessaire à la fabrication des panneaux ; au-delà, le bénéfice énergétique est de 100 %.

Toute l’énergie rendue au consommateur est gratuite : son coefficient est de 0. Mais parce que, du point de vue du consommateur, le mode de production de l’électricité ne peut être distingué, on applique un coefficient moyen de conversion. Ce coefficient pénalise donc les énergies électriques renouvelables (ENR) et favorise le nucléaire. En annonçant en janvier une révision du coefficient à 2,3 (alors que rien ne justifie vraiment cette baisse, sauf à parier sur l’avenir), la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire permet, de fait, aux solutions électriques peu efficaces de se redéployer dans les équipements de chauffage des logements neufs.

Certains spécialistes dénoncent ainsi « le retour du grille-pain ». Cette méthodologie prospective ouvre la porte à des argumentaires permettant aux industriels d’affirmer légitimement que, puisque dans vingt ans leurs technologies seront vertueuses, il n’est pas utile d’en réduire la consommation aujourd’hui !

Second exemple, la nouvelle réglementation thermique RE2020, à laquelle devront, dès janvier 2021, répondre les bâtiments neufs, semble revenir en arrière sur certains acquis du label E + C- (pour énergie positive et bas carbone). Fini l’indicateur bâtiment à énergie positive (Bepos) qui permettait de faire le bilan de l’ensemble des consommations tous usages et de leur production d’ENR.

Fini l’encouragement à l’autoproduction électrique

Or, dans un bâtiment neuf, les usages réglementaires (chauffage, eau chaude sanitaire, éclairage, climatisation, ventilation) ne représentent que 34 % des consommations, contre 66 % pour les autres usages (électroménager, Hi-Fi, TV, ordinateurs, etc.) qui, ceux-là, sont nécessairement électriques. On consommera inévitablement beaucoup plus d’électricité que prévu, puisque ces consommations ne seront pas mesurées…

Fini aussi l’encouragement à l’autoproduction électrique. Dans la nouvelle réglementation, si vous produisez, ce sera uniquement pour votre propre consommation et non pas pour reverser l’excédent sur le réseau. On préfère de loin visiblement une production électrique centralisée, et donc a priori plutôt nucléaire. Sinon, pourquoi décourager les productions électriques décentralisées puisqu’elles sont elles aussi décarbonées ?

On électrifie massivement, nous dit-on, pour décarboner. Toutefois, dans le même temps, le projet de loi de finances 2020 prévoit d’unifier, pour « plus de simplicité », la taxe sur le gaz renouvelable avec la taxe sur les énergies fossiles, à l’impact CO2 bien différent. Serait-ce une manière de freiner le soutien au gaz vert, principal concurrent de l’électricité dans les logements neufs ?

Dissonance entre la volonté politique et les choix techniques

La programmation pluriannuelle de l’énergie portée par le gouvernement prévoit pourtant une part décroissante du nucléaire dans le mix électrique, en faveur des ENR électriques, et une part de plus en plus importante de la chaleur renouvelable…

Autant d’objectifs sur lesquels nous sommes déjà en retard, et que les choix énoncés ci-dessus, plus quelques autres tout aussi techniques, semblent contredire. Aujourd’hui, il semble y avoir une dissonance entre la volonté politique exprimée et les choix techniques, fiscaux et réglementaires faits. D’où la question : existe-t-il une loi zéro de la transition énergétique qui favoriserait la production plutôt électrique, et plutôt nucléaire, au détriment de toutes les autres solutions de transition énergétique ?

Si une telle loi tacite existe, il est temps de l’assumer et de l’expliquer. Si la transition écologique par le nucléaire est le choix de la technocratie française, il faut l’expliquer clairement, non seulement aux décideurs politiques, mais aux Français.

On entend trop souvent dire qu’il ne faut pas encombrer nos têtes politiques avec ces arbitrages austères et techniques… Mais il ne faudrait pas dissimuler des choix qui relèvent de la décision politique au creux d’arbitrages techniques de coefficients obscurs et de réglementations dont l’interprétation serait laissée aux seuls spécialistes.

Par la députée Marjolaine Meynier, (Députée (LRM) de l’Isère, co-animatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments et rapporteuse de la commission d’enquête sur les énergies renouvelables), publié le 28 février à 13h.

Image en titre : « Le projet de loi de finances 2020 prévoit d’unifier, pour « plus de simplicité », la taxe sur le gaz renouvelable avec la taxe sur les énergies fossiles, à l’impact CO2 bien différent. » Elly Walton/Ikon Images / Photononstop

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/28/energie-si-la-transition-ecologique-par-le-nucleaire-est-le-choix-de-la-technocratie-francaise-il-faut-le-dire-clairement_6031208_3232.html


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