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Décroissance Ile de France
28 janvier 2024

Aux sources populaires de nouveaux modes de vie

« Le comptoir d'un café est le parlement du peuple » Honoré de Balzac

La Revue du Comptoir n°2

Aux sources populaires de nouveaux modes de vie

Avec la prise de conscience des dommages écologiques et sociaux de l’agriculture industrialisée, d’un mode de vie urbain artificiel et énergivore, d’un individualisme forcené qui entrave toute vie collective pérenne, on semble redécouvrir les vertus de mode de vie plus anciens, populaires, collectifs et ancrés dans un territoire, qui ont longtemps été décrits comme des folklores. Il ne s’agit plus des expérimentations sans lendemain des années 1970, du « retour à la terre », ou d’une authenticité de carte postale pour consommateurs indifférenciés, mais d’un mouvement plus profond que l’on pourrait à certains égards rapprocher de l’intuition d’Henri Mendras dans « Voyage au pays de l’utopie rustique ». Essentiellement le fait d’urbains se tournant vers des métiers manuels et artisanaux et exhumant des manuels de maraîchage du XIXe siècle répudiés par un progrès technique supposé alpha et oméga du progrès humain, ce mouvement semble traverser plus largement la population et exprimer un indicible sentiment de malaise et de déracinement face à l’époque.

Jusqu’à l’aube des années 1980, des modes de vie locaux ont perduré dans certains régions de France. Ils combinaient artisanat et paysannerie traditionnels, perpétuation de la langue locale et vie quotidienne collective. Jusqu’aux révolutions industrielles et agricoles qui ont piétiné des siècles de savoir-faire patiemment accumulés et transmis, l’artisan et le paysan – indépendants d’un maître, d’un capital à faire fructifier, ou d’appareils de production de série ou de masse – étaient les symboles de l’autonomie. Malgré leurs résistances – dont l’une des plus emblématiques est probablement la destruction des machines par les artisans-tisserands renommés luddites –, les deux ont fini à de rares exceptions près, par être domestiqués eux aussi.

Un écosystème dissous par la modernité

Éditions Gallimard, 2017, 776 p.

Dans son livre La fin du village, Jean-Pierre Le Goff décrit cette réalité telle qu’elle était encore vivante il y a peu, en prenant l’exemple du village de Cadenet situé dans le Vaucluse, au pied du Lubéron, non loin des agglomérations d’Aix-en-Provence et de Marseille. L’économie du village était essentiellement basée autour de deux activités : d’un côté, l’agriculture, essentiellement de la polyculture et des arbres fruitiers ; et d’un autre côté, la vannerie à partir de l’osier local. Ces activités, en même temps que sources de revenus, produisaient des formes d’œuvres d’art, fournissaient ou équipaient les foyers localement. Elles participaient par ailleurs des solidarités paysannes et ouvrières, qui se créaient spontanément. Les familles, pour la plupart, se connaissaient et les différends se réglaient souvent sans faire appel à la force publique. La population était liée culturellement. Outrepassant les différences de classe sociale, il y avait une participation de tous à la vie locale, que ce soit au sein d’institutions, comme les pompiers volontaires, ou tout simplement aux fêtes locales. Les habitants se rassemblaient quotidiennement et spontanément sur les places.

Plusieurs phénomènes ont bousculé ce mode d’existence. C’est d’abord la télévision qui a changé la vie collective : d’un appareil rare à usage partagé, sa large diffusion a fini par faire rester les gens chez eux. Puis, la voiture a commencé à s’installer, et a fini par occuper physiquement les places, restreignant l’espace auparavant occupé et animé par les habitants.

Les activités locales ont disparu : la vannerie traditionnelle étant concurrencée par la vannerie d’importation beaucoup moins chère et par des changements dans les habitudes d’équipement ; l’agriculture se tournant vers une monoculture fruitière intensive. À la recherche de travail, une grande partie de la population a dû s’exiler vers les villes. De nouveaux habitants aspirant à un certain cadre de vie en ont remplacé une partie. Ces soixante-huitards dispersés, bientôt remplacés eux-mêmes par des urbains plus individualistes venus des villes environnantes, ne travaillent pas sur place et n’ont pas de lien avec le lieu, contribuant ainsi à dissoudre le mode de vie local.

« Jusqu’aux révolutions industrielles et agricoles qui ont piétiné des siècles de savoir-faire patiemment accumulés et transmis, l’artisan et le paysan étaient les symboles de l’autonomie. »

Le vide géographique gagne les cœurs

Comme dans de nombreux autres domaines, ce sont donc les associations d’une part, et plus généralement l’État, via la commune, qui ont tenté de prendre le relais. Les anciennes activités ont été muséifiées, de nouvelles ont été importées, sans parvenir à recréer du lien et de l’implication à la même échelle. Entité abstraite devant couvrir l’ensemble du territoire, un État de plus en plus gestionnaire et technique ne peut pas remplacer l’ancien mode de vie, ni en inventer un, sans le sentiment de l’artificiel. Finalement, le rôle de l’État tel qu’il apparaît se limite à maintenir une cohésion minimale entre individus aux intérêts et aux envies divergentes, qui n’ont pas de véritable sentiment d’appartenance à une collectivité, ni d’enracinement sur un territoire.

En parallèle de cette désuétude des modes de vie traditionnels à la campagne semble apparaître le sentiment de vouloir renouer avec ceux-ci en ville, dans une quête d’authenticité, parfois caricaturale et instrumentalisée par le marketing. Les petites surfaces de proximité, pour l’essentiel de bouche, ont le vent en poupe, tout comme les brasseries. La préoccupation de disposer d’une alimentation saine, naturelle et/ou artisanale s’est ancrée face à la nourriture industrielle et à la junk food, et si on ne peut se la permettre dans un premier temps, elle est devenue un objectif.

Le « démontage » du chantier du McDonald’s de Millau, le 12 août 1999

En parallèle de cette désuétude des modes de vie traditionnels à la campagne semble apparaître le sentiment de vouloir renouer avec ceux-ci en ville. Le commerce de proximité a le vent en poupe, bien qu’il soit déjà récupéré par la grande distribution plus que par le petit commerce traditionnel, sauf dans le cas des commerces plus luxueux, non accessibles aux classes populaires. Disposer d’une alimentation saine et naturelle devient une préoccupation contre la nourriture industrielle, liée à une recherche d’authenticité par la cuisine.

Le manque de signification, de sens, du travail se fait plus aigu. Les individus sont plus autonomes dans leur travail mais sur des activités très partielles, qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’exercice réel d’un métier et où les contraintes de productivité sont telles que cela se fait au détriment de la qualité. Lorsqu’il y a le sentiment d’un collectif de travail, c’est souvent sans solidarité concrète et avec des problèmes résolus individuellement.

Enfin, même si l’on ne parvient plus à parler à son voisin, il existe un besoin certain de collectif, si l’on en croit les rassemblements après les événements terroristes ou certaines compétitions de football, qui restent populaires bien qu’appartenant maintenant essentiellement à la sphère de l’argent. Plus généralement, c’est toujours vers le vert qu’on se dirige, pour échapper au béton comme au stress du temps, quand bien même ce vert serait artificiel.

« Un État de plus en plus gestionnaire et technique ne peut pas remplacer l’ancien mode de vie, ni en inventer un, sans le sentiment de l’artificiel. »

Pour toutes ces nouvelles préoccupations, les réponses politiques les plus courantes se trouvent dans les modes de vie populaires, qu’ils soient ouvriers ou paysans. Pour autant, la plupart des réponses encore apportées à ces problématiques sont proposées dans les sphères de l’argent ou du service monétisé, avec un surcroît d’évitement individualiste ou de technique qui serait la réponse à tout, en particulier aux relations humaines défaillantes. S’inspirer de ce qui s’est déjà fait ou s’inspirer des modes de vie populaires serait alors du passéisme ou de l’archaïsme. « Être un Amish », comme dirait l’autre.

Les ressources du passé moteurs de nouvelles aspirations

On constate cependant un mouvement dans ces différents domaines.

Dans celui de l’alimentation, les magasins d’alimentation biologiques – même s’ils connaissent une pause après un fort développement – font partie du paysage, sous une forme traditionnelle, mais aussi participative, et des personnes s’associent sous forme d’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) qui promeuvent également l’installation de nouveaux paysans. Des paysans se mettent à tenir eux-même des commerces, voire récupèrent d’anciens supermarchés pour y vendre directement leurs produits, cherchant le « circuit court ».

Éditions Actes Sud, 1992, 224 p.

De plus en plus de personnes s’intéressent aux anciens modes de culture, à l’agro-écologie comme à la permaculture et retrouvent des techniques qui sont finalement moins coûteuses, moins gourmandes en énergie et en eau, et qui pour autant peuvent être aussi productives que l’agriculture industrielle. Ces savoirs se développent à la campagne, mais aussi en ville où on redécouvre la culture urbaine, qu’on avait oubliée au point de croire qu’elle n’avait jamais existé.

« Instaurer une vie collective et des institutions demande d’habiter sur un territoire pour une longue durée. »

Pour autant, même en disposant du savoir, l’envie de faire est parfois contrariée. Tous les objets, même chers, sont devenus des objets qu’on remplace au moindre problème, au lieu de s’y attacher et de les faire durer. Pire, ils sont souvent rendus non réparables, par le biais de l’obsolescence programmée. Pouvoir réparer par soi-même est redevenu une préoccupation, par économie et par loisir. C’est ce que que faisaient les ouvriers ou les paysans, soucieux de maintenir en service leur outil de travail le plus longtemps possible. On expérimente ce qui est parfois appelé « low techs » suivant Philippe Bihouix, des techniques économes et efficaces qui ne réclament pas une technologie de pointe, et qui prennent corps dans des objets ou produits du quotidien autoproduits. De jeunes ingénieurs, certes minoritaires, se groupent pour la décroissance.

De nombreuses personnes témoignent aussi d’un regain d’intérêt pour les métiers manuels, souvent considérés comme dévalorisants. Les nouveaux convertis sont parfois surpris de la complexité des métiers artisanaux, qu’il s’agisse de métiers de bouche ou de fabrication d’objets. Nombreux sont ceux qui quittent leurs postes dans des bureaux par lassitude de passer du temps devant un écran sans se sentir utile, qui pour devenir boulanger, qui pour tenir un commerce de proximité, qui pour devenir jardinier.

Ces différentes envies, qui manifestent un désir d’autonomie et de reprise de contrôle de sa vie, ne forment souvent pas encore un tout cohérent à l’image de ce que furent ces modes de vie locaux. Elles n’en embrassent souvent pas tous les aspects, sont des actions individuelles ou collectives de petite échelle, et ceux qui partagent ces mêmes préoccupations ne se connaissent pas forcément. Parvenir à associer les enjeux et solidariser les personnes nécessitent la prise de conscience de l’enjeu politique. Seule cette conscience politique permet de résister face à des intérêts particuliers ou à un État qui, comme à Notre-Dames-des-Landes, s’était érigé en obstacle. Elle permet aussi de fédérer ce qui resterait sinon à l’état d’expériences isolées.

Instaurer une vie collective et des institutions demande d’habiter sur un territoire pour une longue durée. Créer du commun, basé sur des activités en lien avec le territoire, utilisant ses ressources et des savoir-faire éprouvés et actualisés nécessite de s’y ré-enraciner. Si recréer d’anciens mode de vie n’est pas réaliste, dès lors que les activités, les institutions et les personnes qui les faisaient vivre ont disparu, s’inspirer de ces écologies est nécessaire pour retrouver la qualité de la vie.

Nos Desserts :

Crédit image de Une : Paul Gauguin, Le porcher (1888)

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Commentaires
P
Il est pour le moins surprenant que dans un texte écrit sur des bases écologiques , il y a une confusion entre le local, coopératif ou non et le biologique . La plupart des Amap ne sont pas formées de producteurs biologiques et entre le local et le biologique ,je choisis presque toujours le biologique. Pourquoi? Parce que le local non biologique a des effets néfastes évidents sur la Terre et sur nous.<br /> Par ailleurs, s'il est vrai que le "retour à la terre" actuel n'est pas une forme de "mode" comme dans les années 70, il n'en reste pas moins un mouvement qui se fait "à côté" du capitalisme. Je ne nie pas le fait que dans ces "îlots" on arrive à instaurer des rapports sociaux plus harmonieux , mais ces "îlots" seraient impensables sans l'existence d'un secteur capitaliste( téléphone, auto,...) et sont tout à fait compatibles avec l'existence de ce secteur.<br /> Pierre Leyraud
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