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Décroissance Ile de France
14 novembre 2018

Désastres de Fukushima : la lutte antinucléaire reste toujours une lutte très importante

Désastres de Fukushima et les JO de Tokyo en 2020
Hiroaki KOÏDE
Ancien professeur adjoint à l'Institut de recherche sur les réacteurs de l'Université de Kyoto



Le 11 mars 2011, un grave tremblement de terre a frappé la région de Tōhoku au Japon, causant un tsunami qui a frappé la Côte pacifique de Fukushima, les préfectures de Miyagi, Iwaté provoquant une panne d'électricité à la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi.
Comme le savent tous les scientifiques, une panne totale peut conduire à un incident potentiellement catastrophique. Selon leur prédiction, le système de refroidissement a échoué et le noyau nucléaire a fondu ; une grande quantité d’éléments radioactifs ont été répandu dans l'environnement. Selon le rapport remis par le gouvernement japonais à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), 1,5 x 10x16 Becquerel (une quantité de césium137 équivalant à 168 bombes atomiques du type d'Hiroshima) ont été libérés à la suite de cet accident. La bombe atomique larguée à Hiroshima n’était qu’une seule bombe, et pourtant, elle était déjà extrêmement destructrice. Le gouvernement japonais a signalé que l’accident de Fukushima avait libéré du césium137 à une quantité égale à 168 bombes atomiques d'Hiroshima.
La fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale Fukushima-Daiichi a libérée au total 7 x 10x17 Becquerels, égale à 8 000 fois de la quantité du césium137 propagée par la bombe d'Hiroshima. En conséquence, une radioactivité égale à 168 fois la puissance de la bombe d'Hiroshima a été libérée dans l’air et versée en mer faisant un total de près de 1000 bombes d'Hiroshima (radia) relâchées dans l'environnement. La plupart de la radioactivité reste toujours dans certains bâtiments endommagés des réacteurs de la centrale.
TEPCO (la Tokyo Electric Power Company Holdings), propriétaire de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, ne sait pas où se trouvent exactement les cœurs des réacteurs à présent fondus et continue de déverser d’énormes quantités d’eau dans les cœurs de réacteurs pour les refroidir. L’arrosage constant implique une contamination de plusieurs centaines de tonnes d’eau par jour et la direction de TEPCO est obligée de construire plus de 1000 réservoirs à l'intérieur du site pour conserver l'eau contaminée. Aujourd'hui, la quantité totale d'eau contaminée dans ces réservoirs dépasse déjà un million de tonnes.
À l'avenir, lorsque le nombre de réservoirs aura dépassé la limite possible, TEPCO envisagerait de déverser les eaux contaminées en mer, faute de place disponible.
Bien que le mieux à faire serait de déplacer les coeurs des réacteurs fondus dans un endroit sûr et sécurisé, TEPCO n’est ni capable de localiser exactement les coriums, ni de déterminer leur état réel. Personne ne peut s'approcher du site pour y intervenir. L’approche d’un site implique d’exposer toute personne à qui cette tâche est confiée à un niveau de radioactivité extrêmement puissant et très probablement mortel.
    Le gouvernement et TEPCO ont essayé d'envoyer un robot. La radioactivité est si forte qu’elle interfère avec le circuit intégré du robot. De tous les robots qu'ils ont envoyés sur le site, aucun n'est revenu. À la fin du mois de janvier 2017, TEPCO a réussi à faire introduire une caméra de contrôle à distance, semblable à un gastro-oscilloscope, à l'intérieur du socle sur lequel repose le réacteur et a découvert que le cœur fuyait à travers un grand trou au niveau de la structure métallique. À cette occasion, ils ont pu mesurer le niveau de radioactivité de 20 Sv par heure dans le réacteur lorsque le maximum du seuil admissible pour les êtres humains est 8 Sv. Sur le chemin du réacteur, les rayons ont atteint leur maximum à 530 Sv ou 650 Sv.
L’endroit où les niveaux de radioactivité sont les plus élevés n’est pas à l’intérieur du piédestal en béton qui soutien la cuve, mais à l’extérieur, entre le mur du piédestal et celui de l’enceinte de la cuve.
Après l'accident, TEPCO et le gouvernement ont émis l'hypothèse que la plupart des cœurs avaient fondu dans le réacteur et s'étaient arrêtés à l'intérieur. TEPCO et le gouvernement ont avancé un scénario selon lequel les coriums s’entassent comme une boule dans l’intérieur du piédestal intact au fond du récipient de confinement. Cela permettrait de récupérer les cœurs fondus dans 30 à 40 ans et de les stocker dans un autre navire, permettant ainsi de faire une déclaration de traitement complet des catastrophes de Fukushima.
Contrairement à leur hypothèse, les coriums ne sont pas du tout en un seul morceaux mais se détachent du socle, ce qui fait qu’il est impossible de les récupérer, contrairement au scénario imaginé par l’autorité. TEPCO et le gouvernement doivent donc changer leur «feuille de route».
Moi-même, j’avais insisté pour que les réacteurs touchés par la catastrophe soient scellés par l’installation d’un «sarcophage» à l’instar de ce qui avait été fait par le gouvernement soviétique après la catastrophe de Tchernobyl, même si ce n’est pas la meilleure des solutions. Les couvertures du sarcophage se détériorent avec le temps et en novembre 2016, on a remis la seconde couverture du sarcophage. La vie de la seconde couverture est estimée de cent ans. Personne ne sait quelle solution définitive pourra être trouvée à ce moment-là. Personne parmi les humains vivants n’aura la chance de voir la fin de l’accident de Tchernobyl. Ce serait encore pire quant à l’accident de Fukushima. Même si on parvenait à confiner les coriums, la radioactivité ne disparaîtra pas et la situation devra être surveillée de manière permanente pendant plusieurs centaines à des millions d'années.
La tragédie est toujours en cours autour de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Le jour de la catastrophe, le gouvernement japonais a déclaré l'état d'urgence nucléaire. Tous les résidents ont été évacués, dans un rayon de 3 km de la centrale nucléaire, puis 10 km et enfin 20 km. Les procédures d’évacuation ont été si rapides que les gens n’ont été autorisés à n'apporter que ce qui était strictement nécessaire, laissant la plupart des effets personnels, leur bétail et même leurs animaux domestiques derrière eux. Iitaté est l'un des villages de la préfecture de Fukushima, situé à quelque 40 à 50 km de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Ses citoyens ont été informés de l’extrême contamination de leur village un mois après l’accident et ont été forcés d'abandonner immédiatement les lieux.
Au début, ils ont été transférés dans un abri temporaire, puis dans une petite maison avec une petite pièce pour 2 personnes. Au fil des événements, ils se sont retrouvés isolés de leur ancienne communauté ; les familles ont été forcées de vivre séparément. Leur ancienne vie a été détruite et les gens, désespérés, n’ont pas réaccédé à une existence normale. Toute la structure sociale d'une communauté a été touchée, sachant que le concept de bonheur dans la culture japonaise ne diffère d'aucune autre culture dans le monde : qu'est-ce que le bonheur ? Cela implique beaucoup de choses simples, mais pas encore accordées, comme vivre avec leurs familles, leurs amis, leurs voisins et leurs amants. Mais à Fukushima, leur bonheur a brusquement pris fin car ils ont tout perdu à l'improviste. Il y a des habitants qui en viennent à se suicider à force de désespoir.
Ce n’est pas tout. Les retombées nucléaires affectent une autre vaste zone autour de celles évacuées. C’est ce que l’on appelle «zone irradiée contrôlée ». C’est une zone réglementée où l’entrée est strictement interdite sauf au personnel autorisé, généralement des professionnels et des ingénieurs nucléaires. Personne n'est autorisé à boire, manger, dormir à l'intérieur de la zone. Il n’y a même pas de toilette. Cependant, le gouvernement japonais permet à des millions de résidents de vivre dans des zones ayant les mêmes caractéristiques que la zone contrôlée sans qualifier ces zones en tant que telles, au mépris de la loi précédemment applicable. Le gouvernement japonais a justifié cet écart par rapport à la loi applicable en raison de l’état d'urgence. Ces habitants comprennent des nourrissons et des enfants contraints de vivre dans un endroit aussi contaminé que la zone contrôlée et exposés de manière quotidienne à un environnement défavorable. Certaines familles ont décidé de quitter leur emploi et de quitter Fukushima afin de protéger leurs enfants de l’exposition radioactive ; d'autres ont décidé de vivre séparément : l'homme reste habituellement car il est obligé de travailler à Fukushima tandis que la femme et les enfants ont déménagé.
Fukushima est un environnement social conservateur ; les gens respectent leurs traditions et ont l'habitude d'y vivre ensemble de génération en génération. Une telle séparation affectera profondément la structure familiale à mesure que les habitants perdent leur vie normale. Ce sont des conflits avec seulement deux issues douloureuses : soit rentrer chez soi et se retrouver dans un pays contaminé où ils s'exposent au risque de nuire à leur santé ; soit partir et souffrir de quitter la vie qu'ils avaient autrefois. Les habitants abandonnés survivent difficilement à des souffrances quotidiennes depuis plus de 7 ans et devront encore tenir pendant de nombreuses années.
    Pour aggraver l’insulte depuis mars 2017, le gouvernement a commencé à réinstaller les réfugiés de Fukushima dans leur pays d'origine ou villes d’origine où les niveaux de radioactivité sont inférieurs à 20 mSv par an ; en conséquence toute allocation d’aide au relogement est supprimée.
La reconstruction représente la priorité numéro une pour le département de Fukushima et les personnes qui n’ont pas d’autre choix que de vivre à Fukushima suivront probablement les souhaits du gouvernement et oublieront que Fukushima est un endroit dangereux plutôt que de vivre toute leur vie dans la peur et l’anxiété. Ils pourraient même oublier la radioactivité et la contamination qui, heureusement ou non, est invisible. Le gouvernement et le département local laissent les gens oublier de toute façon. Au contraire, si l’on parle de la contamination ou de la peur, il sera reproché d’entraver la reconstruction.
    Un facteur important pour les habitants touchés est que le gouvernement japonais, après l’accident, a revu la limite légale de doses radioactives en le faisant passer de l’ancien 1m Sv/an à 20 mSv/an. Il faut dire que 20 mSv/an était auparavant la limite fixée pour les experts ou scientifiques qui travaillaient avec le rayonnement nucléaire comme je l’ai fait et qu’elle n’a jamais été appliquée à des civils ordinaires. En particulier les nourrissons et les enfants qui sont plus sensibles aux radiations et qui n’ont aucune responsabilité non plus dans la catastrophe nucléaire de Fukushima, ni dans la politique nucléaire du Japon qui a dépassé la limite du raisonnable.
Alors, le gouvernement japonais continue de dire qu’il ne peut pas faire grand-chose à cause de la situation d’urgence nucléaire. Cette déclaration de l’état d’urgence na’ pas été reconduite par la nécessité absolue de l’urgence. Elle ne doit pas continuer sans imite mais elle est toujours en vigueur après plus de 7 ans et demi, ce qui n’est pas acceptable.
Apparemment, le gouvernement encourage activement l’oubli de la catastrophe de Fukushima et les médias sont complices. Ils omettent de rendre compte de la contamination réelle, des risques et de la situation réelle à Fukushima sans pouvoir supprimer l’état d’urgence. La plupart des Japonais ne savent pas que Fukushima est toujours sous état d’urgence nucléaire. L'élément le plus nocif pour l'environnement et la santé est le césium137 ; il faut 30 ans pour réduire sa quantité de moitié et il reste après 100 ans à 10% de sa valeur. En fait, dans 100 ans, le Japon sera toujours soumis à cette « déclaration d’ état d’urgence ».
Les Jeux Olympiques ont toujours été utilisés comme outil de propagande pour promouvoir le nationalisme. Ces dernières années, construire de nombreuses structures gigantesques sans aucune perspective d’utilisation après les Jeux olympiques, c’est juste dans l’intérêt des entreprises de construction et des autres entreprises de services qui font d'énormes profits dans cette société de consommation.
Je pense que le gouvernement japonais doit faire un effort énorme et de son mieux pour résoudre l'urgence nucléaire à Fukushima dans les plus bref délais pour sauver les habitants de Fukushima qui vivront dans des situations extraordinaires, ou au moins de sauver d’abord les enfants. Cependant, le gouvernement japonais considère que la réussite des Jeux olympiques de Tokyo 2020 est son objectif le plus important. Il doit organiser de grands événements comme les Jeux olympiques pour distraire les gens d’autres problèmes graves impliquant les populations. Les médias font de leur mieux pour élever la «fièvre olympique» qui fait de tout opposant aux Jeux olympiques de 2020 à Tokyo un mauvais citoyen. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les médias n‘ont diffusé que des informations officielles très positives et la population japonaise a coopéré avec le gouvernement. Le «bon citoyen» a accusé ses «méchants» voisins, opposés à la politique nationaliste, pour qu’ils soient conduits en prison. Si mon pays considère que le succès des Jeux olympiques de Tokyo de 2020 est un objectif plus important que de sauver l'innocent citoyen, je préférerais être un "mauvais citoyen"
La vérité est que le désastre de Fukushima durera plus de 100 ans et, à ma plus grande surprise, personne n’a été officiellement incriminé à ce jour, aucun représentant de TEPCO, aucun directeur, aucun ministre, aucun politicien, aucun spécialiste qui l’ait causée. Personne n’a même été accusé d’être responsable du désastre de Fukushima. Pour ajouter l’insulte à nos blessures, notre gouvernement veut redémarrer ces vieilles centrales nucléaires qui ne sont pas opérationnelles et veut exporter la construction de centrales nucléaires vers d’autres pays étrangers. Etre l’hôte des Jeux Olympiques dans le pays en situation d’urgence nucléaire est absurde. Les Etats participants et quiconque parrainant un tel acte prennent le risque d’une part d’être exposé à la contamination radioactive, et d’autre part d’être les complices de comportements criminels, et coupable du silence et de son déni...



23 août 2018

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