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Décroissance Ile de France
15 avril 2022

Edifier un monde




« Non je ne vous instruirais pas, et je pense qu’il serait présomptueux de ma part de le faire. Je pense que vous devriez vous instruire en vous asseyant autour d’une table avec vos pairs pour échanger vos opinions. Cette position devrait en quelque sorte donner lieu à instruction : non pas pour vous, personnellement, mais pour savoir comment le groupe devrait agir. Et je pense que toute autre voie empruntée par un théoricien disant à ses étudiants ce qu’ils doivent penser et comment ils doivent agir….Mon Dieu ! Vous avez à faire à des adultes ! Nous ne sommes pas à l’école maternelle ! » H. Arendt

Quand Hanna Arendt nous dit qu’il « se pourrait fort bien que la tâche de la politique consistât à édifier un monde », que veut-elle dire ? Elle veut s’opposer à la nécessité historique, plus précisément à la réduction de la politique à une activité pour suivre une « nécessité historique » d’un monde prédéterminé. Elle veut rappeler que la politique c’est mieux (ou différent ?) que cela, c’est un espace de liberté qui ne peut être dominé par la nécessité sinon il n’y a plus de politique.
La modernité se caractérise par « une perte du monde », c’est à dire de la sphère publique de l’apparence, celle de l’Agora grècque où le citoyen apparaissait en public pour produire les lois avec les autres. Cette perte s’est effectuée au profit de la sphère privée, et dans un cadre intellectuel dominé par « l’administration des choses ».

Notons toutefois que  cette disponibilité pour la politique ne fut possible que grâce à une délivrance des tâches productives effectuées dans la domus par les esclaves notamment et pour Aurélien Berlan l’enjeu est ni plus ni moins de questionner cet impensé de la « délivrance » (des tâches matérielles, de la politique au bénéfice de la vie privée) et « de retrouver les traces, dans notre histoire, d’autres visions de la liberté », autrement dit il veut revaloriser les activités de subsistance, et rompre avec le désir de délivrance, « qui aboutit à faire faire à des salariés, des femmes ou des esclaves ce que l’on veut avoir sans se donner la peine de le faire soi-même. » A. Berlan rajoute l’aspect technique. Comme L. Mumford avant lui, il oppose la « technique autoritaire », centralisée, puissante, nécessitant des experts, à la « technique démocratique », locale, dominée par les citoyens. Cette recherche de la délivrance grâce à la technique ne peut que nous conduire vers la domination d’une Mégamachine remettant en cause les libertés pour tous et réduisant la politique à une administration des choses, dont celle d’humains réifiés.
La recherche d’autonomie rime avec une autre définition de la liberté pour A. Berlan. Il accepte le travail, mais comme « faire ensemble hors du contexte salarial et à l’échelle réduite du foyer, du voisinage ou du cercle de copains ».

Mais revenons à Hanna Arendt et à la politique, ses implications.
« Du moment où j’agis politiquement, je ne suis plus concerné par moi-même, mais par le monde. » Elle prend comme exemple Rosa Luxemburg « très intéressée par le monde et pas du tout par elle-même », sinon elle serait restée à Zurich… « savoir si le critère est la gloire - le fait de briller de toute sa splendeur dans l’espace des apparences - ou la justice n’est pas décisif. Ce qui compte, c’est la question de savoir si vos propres motivations sont claires : ont-elles pour objet le monde ou vous-même, et par là je veux dire : votre propre âme ? »  Autrement dit, que le monde en tant que tel présente un plus grand intérêt pour moi que moi-même, « mon Moi aussi bien physique que psychique. »
Constatons combien on est loin de l’idée d'avoir pour mission de transformer le monde. Pour Hanna Arendt, aucun Paradis sur Terre ne nous a été promis, l’essentiel a toujours été de préserver et de protéger le monde. Mais encore faut-il ne pas faire de confusion sur le monde dont il s’agit. En l’occurence il s’agit bien de la politique.
Et la politique c’est bien se dédier au monde pour l’édifier ensemble, avec les Autres, bref pour faire du commun.
Finalement, la question n’est pas tant de constater qu'à sa naissance aucun individu ne se trouve face à une tabula rasa et qu'au contraire, une société est déjà là, avec ses institutions comme une langue, des traditions, des manières de faire…(mais l’enjeu n’est-il pas justement de changer ces institutions, ces traditions ?) tellement il est évident que le collectif-signifiant précède l’individu, mais de voir que l’homme est dominé par l’imaginaire et que l’enjeu est bien  de faire de la politique pour faire du commun, c’est à dire du signifié.
« Faire » signifiant aussi « prendre conscience de »….La langue est bien première, mais nous savons que l’inconscient est structuré comme le langage, et qu’il n’est pas neutre. Accepter ce poids du symbolique et de l’inconscient, croire néanmoins au projet d’autonomie. Sans cette possibilté de produire ses lois, surtout d’accepter de s’y consacrer, même si la société précède - temporellement et physiquement- l’individu, il n’y a pas -aujourd’hui- de société, ni a fortiori de société autonome, mais un agrégat d’individus dominé par l’hétéronomie et le travail salarié, bref par un imaginaire individualiste où chacun se replie sur sa vie privée et où la politique devient une affaire d’experts et d’élus.
Dire que le commun est déjà là et qu’il n’y a rien à ériger ne revient-il pas à faire la même erreur que ceux qui confondent la monnaie et l’argent ? La monnaie n’a pas de sens, elle n’est qu’un rapport social , l’équivalent général de marchandises uniquement, alors que l’argent « quand il est signifiant névrotique de la valeur du don et d’échange » en a un, bref « la monnaie c’est de l’argent et l’argent c’est de la merde », mais le fait est que l’argent domine la monnaie dans notre société.
Alors, oui il s’agit bien de « faire du commun », de le fabriquer et que justement les gens prennent conscience que ce monde est le produit de leur imaginaire. Il s’agit bien de « décoloniser son imaginaire » (individualiste niant que le fait social doit venir en premier) et d’en EDIFIER un autre où la réalité que la société précède l’individu ferait jour, condition pour générer l’autonomie. Bref, donner du sens autre que la merde ou la destruction, dire qu’on est contre ce monde de l’anomie et de la séparation et pour la construction d’une société.


JLP

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