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Décroissance Ile de France
24 décembre 2021

La sobriété n'est pas toujours la décroissance, même si la décroissance c'est toujours la sobriété



Il est maintenant largement admis que l’ on ne peut pas sortir du nucléaire, par contre on peut l’arrêter.
On peut arrêter la production électronucléaire, abandonner les armements nucléaires, mais il restera toujours les déchets à gérer, que ce soit sous la forme de sous-produits de l’activité ou suite au démantèlement de centrales…
Les accidents ont généré des zones contaminées rendues inhabitables et quant aux déchets ils sont ingérables et certains ont une dangerosité s’étendant sur des centaines, voir des centaines de milliers d’années comme le plutonium 239.
De plus il ne s’agit pas que d’une simple technique, mais d’un « monde ».
Le monde du nucléaire c’est à la fois ce que l’on peut arrêter et ce que l’on va devoir cotoyer, mais c’est aussi la mentalité, les théories qui vont avec comme nous le verrons plus loin. Dans le monde du nucléaire gisent à la fois des éléments politiques et  culturels. Tout l’enjeu est d’arrêter sa croissance et si possible de faire décroitre ce monde aux origines culturelles et politiques spécifiques.

Culturel : le nucléaire c’est vraiment le symbole de la démesure, et nous avons été mis en garde par G. Anders que dorénavant, l’humanité et plus seulement une culture peut disparaitre et que nous ne vivions plus dans une époque, mais dans un délai. Voici le lien très étroit entre la croissance et le nucléaire : la démesure, la disparition totale. Georgescu Roengen aussi avait osé évoquer cette disparition comme le destin du culte de la croissance infinie dans une Terre limitée.


Politique :  il s’agit essentiellement de la question impériale. la France est un pays impérialiste. Elle a eu deux Empires coloniaux, le premier aux Amériques et en Inde, le second en Afrique et en Asie. La perte de ces deux Empires a été ressentie comme un « échec » retentissant pour les impérialistes français, le premier en 1763 face au Royaume-Uni, le deuxième dans les années 1960. Forcément quand on a été un grand pays impérialiste, ça marque les esprits plus ou moins consciemment, et comme les Empires dominent encore le monde, nous formulons l’hypothèse d’un remplacement par une idéologie nucléaire comme  héritage et compensation :  un « impérialisme nucléaire » remplaçant un « impérialisme territorial » en quelque sorte. En France, la place du nucléaire dans l’idéologie nationale est très forte, en tout cas dans les mentalités des dirigeants. S'opposer au nucléaire chez nous c'est à la fois s'opposer à une idéologie très forte mais aussi à un traumatisme…

Culturel, politique, civil, militaire : Il existe un lien étroit entre les nucléaires civil et militaire. Le gouvernement français a soutenu  la filière graphite-gaz pour produire le plutonium utilisé dans la bombe atomique. Les trois premiers réacteurs vont permettre à la France de fabriquer la bombe, les autres vont lancer le nucléaire civil. Aujourd’hui encore c’est aussi pour produire le plutonium que l’on maintient des réacteurs électronucléaires. A l’origine du nucléaire français, on découvre des savants, mais aussi des ingénieurs. Pourtant, comme l’écrivait Ellul, « Dans cet univers si étonnamment calculé, les choix fondamentaux à partir desquels tout dérivera selon une logique parfaite sont parfaitement non pensés. (…) Les moyens conceptuels d’une rationalité qui s’appliquerait à elle-même sont profondément insuffisants, et cela d’autant plus que dans notre société les moyens de la recherche scientifique sont subordonnés au pouvoir, et que celui-ci ordonne de façon parfaitement irrationnelle.(…) Le techno-scientifique est mis au service des fins militaires. » Autrement dit, du militaire et de l’irrationalité comme éléments déclencheurs d’un projet mortifère et quelque part suicidaire…

L’arrêt des nucléaires :

Heureusement il y a la décroissance ! Grâce à elle, on peut, arrêter de produire ces déchets si dangereux, mettre fin à l’impérialisme nucléaire… Mais comment y arriver ?
Entre le scénario « Alter », scénario de non-entrée dans le nucléaire dans les années 1970, tout solaire, celui d’arrêt immédiat du Comité Stop Nogent de fin 1980, ceux de Négawatt qui sont passés de 27 à 33 ans entre 2003 et 2017, du RSDN de 5 à 10 ans au flou actuel, les scénarios pour empêcher ou arrêter le nucléaire ont été nombreux et plutôt dirigés à la hausse…en ce qui concerne les transitions, mais aucun ne propose la décroissance pour accompagner l’arrêt du nucléaire, et quand la sobriété est proposée c’est essentiellement pour remplacer le fossile ou en s’appuyant sur des innovations techniques, ou pour lutter contre les gaspillages qui sont le moto de notre système. Mais arrêtons nous sur le scénario Négawatt qui évoque la sobriété énergétique.

Pourquoi bien qu’évoquant la sobriété le scénario Négawatt n’est pas décroissant ?

1) un scénario qui n’attend des améliorations que du côté de la consommation grâce à la sobriété et l’efficacité :

Si on analyse le scénario Négawatt qui parle de « sobriété » on constate qu’elle n’est attendue que d’améliorations techniques et en particulier du côté de la consommation en totale contradiction avec l’esprit du système croissanciste que Négawatt ne consteste pas :
Grâce aux actions de sobriété et d’efficacité qui se traduisent par la suppression des gaspillages, la
consommation d’énergie finale en 2050, au terme du scénario négaWatt 2017, est réduite de moitié et l’énergie primaire de 63 %, tout en maintenant un haut niveau de services. Ce résultat est obtenu grâce à la maîtrise du dimensionnement, du nombre et de l’usage de nos appareils et équipements, au dévelopement d’une mobilité “servicielle”, à un programme ambitieux de rénovation énergétique des bâtiments et à une occupation plus raisonnée de l’espace.

Jamais on ne questionne la société industrielle à l’origine des gaz à effet de serre tant dénoncés, et pour cause on sait que Négawatt est une association qui vend des services aussi à EDF et compagnie, jamais on ne s’adresse aux producteurs pour leur demander de réduire la production d’électricité, notamment en exigeant l’arrêt immédiat du nucléaire, et surtout jamais on ne se pose la question du but de la production d’électricité.
Seul le « gaspillage » est dénoncé et il est vrai qu’il existe, bien sûr la rénovation énergétique des batiments est nécessaire, mais elle s’oppose à l’esprit du système qui n’y voit qu’un moyen pour vendre autre chose (effet rebond).
Autrement dit la sobriété n’est pas la décroissance. La décroissance s’adresse d’abord à la production, sa nature, ses produits (en l’occurence il s’agit de nucléaire), et de façon globale (le mythe de la croissance, le PIB). La décroissance sous-entend la remise en cause d’un système, pas l’offre de « services de sobriété. »

2) Une stratégie commerciale et marketing démentie par les faits :

Une décroissance énergétique est-elle possible dans le cadre d’un système croissanciste et nucléaire ? Comme l’écrit F. Vallet « Pourtant, à ce jour, aucune centrale nucléaire n'a été définitivement arrêtée du fait de la réduction de la consommation ou de l'augmentation de la production d'origine renouvelable. Lorsque l'électricité produite en France excède la demande, la solution retenue est d'exporter plutôt que d'arrêter les réacteurs nucléaires. Ainsi l'équivalent de la production de 10 à 12 réacteurs est vendue à bas prix aux pays limitrophes, disqualifiant ainsi d'autres formes de production moins polluantes et les techniques économes en électricité. » Finalement, Négawatt se comporte comme une entreprise spécialisée dans les économies d’énergie, au service des filiales d’EDF la plupart du temps, multinationale qui ne pense qu’à la croissance de son chiffre d’affaires. Négawatt ne propose des services qu’au niveau des immeubles, bref il ne s’agit que d’une niche comme l’agriculture biologique tout à fait tolérée par notre système croissanciste. La transition qu’il évoque au niveau national ressemble à une extension de ce qu’il fait niveau local, or un pays n’est pas une entreprise, on peut avoir la sobriété au niveau local, mais au niveau national il faut la décroissance pour obtenir la sobriété.
Malgré « tous les efforts gouvernementaux » (ADEME, etc…), la consommation d’énergie n’a pas diminué et la part de l’électricité a tendance à augmenter. Comme on pouvait le lire dans le journal « les Echos » : A horizon 2050, la consommation d'électricité va augmenter. C'est le prérequis pour atteindre la neutralité carbone à cette échéance. C'est même, selon le gestionnaire du réseau électrique national RTE, un corollaire inévitable des engagements de la France à sortir des énergies fossiles, afin de respecter l'Accord de Paris.
La vérité est dure mais dans le cadre du système croissanciste on ne peut arriver qu’à une stabilisation de la consommation d’électricité alors qu’il faudrait une décroissance, le constat est amer  : En France, la consommation d'électricité a triplé de 1973 à 2010 et si  depuis 2010, elle s'est stabilisée, la cause réside dans certains facteurs de l'évolution économique tels que la modification du tissu industriel français (délocalisation, désindustrialisation) ou les effets de la maîtrise de la consommation.
La consommation d’électricité était d’environ 200 TWh au début des années 1980, elle approche les 500 TWh aujourd’hui : or sommes nous plus heureux qu’en 1980 ?

3) La réduction énergétique (impossible au niveau du système) est posée comme préalable à l’arrêt du nucléaire par Négawatt :

La croissance infinie du PIB n’étant pas possible dans une Terre limitée, l’idée qu’on pourrait quand même la sauver grâce à une diminution de la croissance énergétique par unité de PIB est quand même défendue. Cependant, cette thèse est partisane et fausse dès le départ, car, elle ne tient compte que des émissions de CO2 et oublie le lien entre la croissance du PIB et celle de « l’empreinte biosphérique" de façon globale : les gaz à effet de serre (et pas que le CO2), certes, mais aussi les ressources, les déchets nucléaires, l’eau, bref la biosphère de façon globale. Et quand on l’aborde ainsi on s’aperçoit qu’elle est impossible.
Certes, on a pu voir un découplage relatif entre les émissions de CO2 par unité produite dans certains pays, mais comme dans le cas de l’Europe ce n’était du qu’à la délocalisation ou au déplacement d’activités vers la Chine et finalement par le biais des importations il n’y avait plus de découplage, c’est le sens d’un découplage relatif. D’après Tim Jackson un découplage absolu, où on obtiendrait plus de PIB avec des émissions plus faibles est impossible, ou contradictoire, car cela signifierait une baisse de l’impact (I) de l’homme sur son environnement et donc une décroissance, ce qui est exprimé par la formule I = PAT qui sous-entend une diminution de la population, de la croissance du PIB et des investissements dans la Technique.
En résumé, même s’ il y a pu avoir des découplages, ils étaient temporaires, locaux, ou d’un taux si minime qu’ils ne permettaient pas de sauver la planète des dégâts du productivisme.
Or, le scénario de Négawatt se contente dans un premier temps de réduire la consommation d’énergie dans le cadre de ce système industriel, de construire des moyens de production alternatifs pour ensuite pouvoir arrêter le nucléaire. Il nous fait miroiter le mirage du découplage absolu comme possible pour pouvoir ensuite arrêter le nucléaire.
Nous théorisons qu’il est impératif d’arrêter immédiatement le nucléaire comme préalable à la réduction énergétique. Seul l’arrêt du nucléaire poussera à réduire la production d’électricité pas l’inverse comme l’avance Négawatt. Mais pour cela une rupture culturelle et politique est nécessaire et elle s’appelle la décroissance. Certes un arrêt immédiat du nucléaire civil est encore théoriquement possible dans le cadre du système, mais elle exigerait, des importations d’électricité qui deviendront de plus en plus difficile avec une Allemagne fermant ses centrales au charbon à cause du dérèglement climatique, et une pression européenne pour fermer toutes les centrales fossiles, y compris en France. Dans tous les cas nous serons contraints de réduire notre production d’électricité si nous voulons vraiment sauver la biosphère. L’affaire de la taxonomie verte européenne nous montre que si l’on ne reste qu’au niveau du dérèglement climatique et des centrales électriques, le nucléaire, lui-même peut être défendu comme « écologique », alors qu’il émet des déchets multiples comme les gaz à effet de serre, les déchets nucléaires et qu’il est dangereux.
Un autre aspect non abordé ici, c’est la place du renouvelable dans le scénario Négawatt. Or, installer des éoliennes devient de plus en plus difficile dans la société française : opposition de l’armée, des pécheurs notamment, questionnement sur le béton nécessaire pour stabiliser les mats, et aussi sur les terres rares qui pourraient être employées.

En conclusion souvenons-nous de l’esprit de la mise en garde morale de Gunter Anders, les nucléaires étant une catastrophe il faut les ARRETER le plus vite possible ;  avec le nucléaire est posée la question de la centralité accordée à la technique, de l’idée que nous devrions tout attendre d’une énième innovation technique. Or, nous avons vu que le découplage entre croissance énergétique et croissance du PIB est impossible. Par conséquent il faut remettre en cause la croissance. De plus  avec les règles européennes sur les fossiles, le télescopage entre l’urgence climatique et la catastrophe nucléaire, une fois l’arrêt du nucléaire civil effectué, nous serons contraints à réduire notre production d’électricité. Comme il n’existe pas de solutions techniques aux problèmes posés par la technique, il ne reste qu’une rupture culturelle et politique, incluant l’arrêt des nucléaires.

JLuc Pasquinet


































































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