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Décroissance Ile de France
5 décembre 2020

LE CAPITALISME S’APPUIE SUR NOS PEURS ET SUR LA PSYCHOSOCIOLOGIE POUR NOUS FAIRE CONSOMMER PLUS



Thierry Brugvin
Psychosociologue
Auteur de Etre humain en système capitaliste, Ed. Yves Michel, 2015

Par la publicité, le capitalisme vise à inciter à la consommation infinie des masses, afin de tenter de satisfaire deux besoins névrotiques principaux : celui d’être reconnu et celui de posséder. Ces besoins sont engendrés par la peur de ne pas être aimé et d’être faible. Les élites capitalistes cherchent le pouvoir maximum par le biais de l’accumulation du capital, tandis qu’elles poussent les masses à la possession sans fin. Mais ces dernières, comme pour les élites économiques et politiques aussi dépendantes du besoin de reconnaissance. La valeur centrale de la société capitaliste est le pouvoir par l’accumulation du capital, c’est à dire le culte de la marchandise pour les masses et le pouvoir économique pour les élites, grâce à la propriété privée des moyens de production. Ce dernier étant le principe fondateur du capitalisme permettant le pouvoir adémocratique des élites économiques sur la société politique, donc sur le social et l’écologie. L’accumulation du capital et de la marchandise représente donc la valeur centrale à atteindre, tandis que la propriété privée des moyens de production est le pouvoir central, le déterminisme dominant, après celui des infrastructures économiques.

Consommer et posséder vise aussi à compenser un manque d’estime de soi. Le sociologue Veblen Thorstein qualifie de « consommation ostentatoire » l’acte de consommer pour se sentir exister par le regard des autres, qu’on imagine envieux et admiratif. Le consommateur cherche à montrer aux autres, ou à lui-même, que s’il possède certains biens, c’est parce qu’il dispose d’un capital économique ou culturel important. Par conséquent, il attend des autres une reconnaissance sociale de sa puissance économique ou de sa distinction culturelle. En effet, le besoin de consommer pour paraître vise à compenser des carences identitaires. Le besoin de reconnaissance sociale repose sur un manque d’estime de soi, donc un besoin d’être aimé pour sa force, qui repose sur la peur d’être faible et de ne pas être aimé suffisamment.
Le besoin de possession et d’accumulation est quasiment illimité chez certains milliardaires, qui accumulent plus qu’ils ne pourront jamais consommer ou dépenser. Car le ressort profond de leurs besoins réside sur une volonté de puissance qui s’exerce par la quantité de la consommation et de possession d’entreprises, la détention d’un très gros compte en banque, des plus gros revenus possibles par rapport aux autres élites économiques et politiques. Ce besoin de puissance est lui-même le signe d’un complexe d’infériorité explique le psychanalyste Alfred Adler, donc d’une peur d’assumer sa part de fragilité. Figurer parmi les élites, ou les meilleurs par ses revenus, sa capacité de consommation allie à la fois un besoin de puissance et un besoin de reconnaissance. Or, cette dernière s’appuie sur le besoin d’être aimé pour ses compétences, aimé pour sa puissance. Par conséquent, il s’agit d’une peur de manquer d’estime de soi.  

Un besoin névrotique de possession permet de se sécuriser face à la peur de manquer. La sécurité matérielle relève des besoins essentiels physiologiques (de se nourrir et de se loger), mais aussi de posséder des technologies puissantes et multiples. Ces dernières visent à être en capacité de faire face à tous les besoins et problèmes éventuels, grâce à des instruments, à la technologie (automobile, ordinateur, outillage), mais aussi le besoin névrotique de connaissance.
Ce dernier relève de la peur de ne pas maîtriser par incompréhension, et conduit notamment à des achats compulsifs et infinis de livres que le consommateur n’aura jamais le temps de lire. Plus le consommateur possède d’instruments, plus il peut maîtriser le monde qui l’entoure, plus il se sent fort. Moins il en possède, plus il craint d’être fragile, donc plus il craint l’insécurité, l’impuissance économique, donc la peur d’être faible. Lorsqu’une personne devient vraiment trop fragile, elle risque de ne plus pouvoir se défendre face aux attaques, d’être blessée, de dépérir. La peur d’être faible repose donc aussi sur la peur de mourir. Le besoin de pouvoir résulte donc d’un manque d’humilité, de la peur d’accepter ses limites et ses faiblesses, qui sont pourtant inhérentes au genre humain.  
Accepter sa part de fragilité est une des conditions pour se sécuriser individuellement, mais aussi collectivement. Cela permet finalement de protéger la planète en consommant moins et en ne cherchant pas à générer une technique illimitée visant la toute-puissance.
A la différence des populations ne parvenant pas à se nourrir à leur faim, le besoin de possession repose surtout, pour les classes moyennes, sur une peur de manquer plus fantasmée que réelle. Le fait de posséder des richesses, des biens à profusion, rassure les personnes qui se sentent éternellement en danger de tomber un jour dans la précarité économique. C’est pourquoi celles qui subissent cette peur névrotique de l’insécurité matérielle peuvent soit consommer pour s’entourer de « biens sécurisants », soit, à l’inverse, ne rien dépenser, afin de conserver sans cesse leur argent, et d’accumuler afin de se protéger de ce danger d’insécurité matérielle très peu probable pour elle. Cela conduit alors à l’avarice envers les autres ou pour soi. L’avidité des milieux financiers notamment, la recherche de profit maximum, reposent donc aussi sur la peur de manquer et engendre soit un besoin névrotique d’accumulation par la consommation infinie ou par l’avarice, l’absence de dépense, qui en représente l’opposé.

Le besoin de consommer relève aussi du besoin de possession affectif et non seulement matériel. Le fait de consommer (de la nourriture, des vêtements, des voyages, de la culture…) s’avère nécessaire à la vie et à l’épanouissement de l’être humain. Mais, à l’excès, cela manifeste le besoin de compenser une carence affective. Il s’agit à nouveau de la peur de ne pas être aimé suffisamment. Plus le consommateur se nourrit, plus il se donne de l’amour par ce qu’il ingurgite, plus il compense alors sa peur de ne pas être aimé. C’est un comportement analogue à celui des boulimiques, mais eux à un degré extrême. De même, le fait de posséder beaucoup de biens (de beaux vêtements, de beaux outils, de beaux livres), permet de satisfaire son besoin d’être aimé en se donnant de belles choses, en mangeant de bonnes choses. Cette nourriture, ces objets, permettent de se donner de l’amour à soi-même. Si la personne qui n’est plus aimée, elle est susceptible d’être abandonnée, rejetée du groupe, du clan, de la société. Elle court alors un danger affectif et matériel. Elle risque de mourir et ce, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un petit enfant. Or, ces peurs archaïques proviennent aussi du stade durant lequel l’enfant était réellement dépendant de ses parents pour sa survie.


La simplicité volontaire vise aussi à se détacher de la peur de manquer. Les membres du mouvement pour la « simplicité volontaire » apprennent à vivre heureux avec de faibles moyens, grâce à des joies et des activités simples. Ceci, afin de se détacher de leur besoin de possessions matérielles et d’autrui, de consommation de marchandises, de leurs différentes addictions aux sucreries, à la sexualité, aux drogues… Cela n’empêche pas certains d’entre eux de militer en même temps, contre l’exploitation et la domination exercée par les plus puissants de la société. Cependant, ils ne se limitent pas à la dénonciation et tentent de mettre en pratique concrètement une société alternative, qui ne soit pas fondée notamment sur l’accumulation illimitée de la propriété privée.

La satisfaction des 6 besoins psychologiques essentiels est une condition de la sobriété heureuse. Le philosophe Christopher Lash explique que la société capitaliste engendre une « personnalité culturelle » narcissique et prédatrice. Notre analyse 6 besoins  essentiels psychologiques est différente de celle du psychologue Maslow. Nous estimons que ces besoins sont en réalité le besoin de vivre, d’être fort, d’aimer, d’estime de soi, de comprendre et de créer. Prendre conscience des différentes couches subconscientes de sa personnalité et observer ses peurs essentielles permet de s’émanciper par l’ouverture et la maîtrise de soi. Il y a des peurs essentielles qui sont reliées aux besoins psychologiques essentiels : la peur de la mort au besoin de vivre, la peur d’être faible au besoin d’être fort, la peur de ne pas être aimé au besoin d’aimer (et non d’être aimer), la peur de ne pas se réaliser au besoin de réalisation de soi-même par la création, la peur de ne pas comprendre et donc ne pas maîtriser son environnement au besoin de compréhension du monde.
Le changement vers une démocratisation des structures sociales et économiques suppose des actions concrètes et des luttes sociales sur le long terme et au quotidien et pas seulement un travail psychologique personnel. Cependant, pour parvenir à créer une société nouvelle et émancipée, les êtres humains, qu’ils soient citoyens, militants, dirigeants ou chefs d’Etat, ne pourront se dispenser d’un travail lui aussi quotidien, intérieur et extérieur de nature psychologique et relationnel visant une transformation de leur personnalité.
Le besoin de consommer s’alimente donc de deux peurs principales la peur de manquer et de ne pas être reconnu. Le détachement et l’acceptation vis-à-vis de ces peurs névrotiques permettent aux individus de retrouver une sécurité psychologique intérieure et finalement de se recréer de vraies valeurs, telles celles d’être solidaire et de vivre dans la sobriété heureuse comme le dit Pierre Rabhi.

Pour aller plus loin
Brugvin Thierry (dir). « Etre Humain en système capitaliste, Psychosociologie du néolibéralisme, Ed. Yves Michel, 2015

 

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