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Décroissance Ile de France
18 février 2016

Pourquoi la transition se fait attendre (par Pablo Servigne & Raphaël Stevens)

ALORS, ÇA VIENT ? Pourquoi la transition se fait attendre (par Pablo Servigne & Raphaël Stevens)
IMP

La transition vers un monde soutenable, on la souhaite, on la rêve… Et on l’attend toujours ! Mais qu’est-ce qui bloque ? Loin des théories du grand complot ou du mythe des politiciens incompétents et corrompus, cette inertie pourrait être expliquée en grande partie par le phénomène de « lock-in », lorsqu’un système technique dominant tend naturellement à verrouiller l’émergence d’alternatives.

Sur le papier, la Transition est une belle histoire. Elle correspondrait à une métamorphose anticipée, progressive, collective et non violente de notre société vers quelque chose de bien plus soutenable qu’aujourd’hui. Mais, outre le fait que les « transitionneurs » sont de plus en plus nombreux et appellent cette transition de leurs vœux, personne ne la voit vraiment arriver ! Après 40 ans d’appels au changement et d’expérimentation d’alternatives, la situation s’est même dégradée. Pire, depuis tout ce temps, nous savions que notre civilisation n’était pas sur une trajectoire soutenable — c’est-à-dire qu’elle risquait un effondrement au cours de ce siècle —, et nous n’avons pas su dévier ce destin d’un pouce, alors que nous en avions la possibilité. Autrement dit, entre les années 1970 et les années 2000, nous avons choisi, collectivement, de ne pas prendre le chemin de la transition.

Mais avons-nous vraiment choisi ? Qui a choisi pour nous ? Y aurait-il un grand complot fomenté par une petite caste d’élite corporatiste qui décide pour nous tous ? Les politiciens sont-ils à ce point incompétents (ou « tous pourris ») ? Dans cet article, nous ne pourrons pas répondre par la négative à ces deux dernières questions, mais nous montrerons qu’il existe un autre mécanisme très puissant qui bloque les changements. L’objectif de ce texte est donc d’entamer une réflexion sur les freins et les verrous de la transition, afin, nous l’espérons, d’éclairer les choix stratégiques du mouvement.

COMMENT FAIRE DEMI-TOUR LORSQU’ON SE TROUVE DANS UN TRAIN ?

Savez-vous quelle est l’origine de l’agencement des lettres AZERTY (et QWERTY) sur les claviers que nous utilisons tous ? Pour avoir la réponse, il faut remonter au temps des vieilles machines à écrire qui utilisaient un ruban d’encre défilant frappé par des blocs de métal placés au bout de fines tiges. L’agencement des lettres a une fonction bien précise, pensée par les ingénieurs de l’époque : maintenir le rythme des tiges le plus constant possible afin éviter qu’elles ne s’emmêlent. Ainsi, des lettres parmi les plus courantes de notre langue (« a », « s », « p », « m », etc.) ont été attribuées à des doigts plus « faibles » afin d’homogénéiser le rythme de frappe.

Aujourd’hui, les claviers numériques plats n’ont plus besoin de telles précautions. Certains ingénieurs ont donc inventé un nouveau type de clavier beaucoup plus performant et rapide que l’AZERTY : le DVORAK. Mais qui utilise un clavier DVORAK ? Personne. Nous nous trouvons donc dans la situation absurde où les vieilles machines à écrire ont disparu, mais où tout le monde utilise encore l’ancien système technique qui les accompagnait, et qui s’avère moins performant pour notre époque.

Dans un tout autre domaine, il est aujourd’hui bien démontré que des systèmes alternatifs d’agriculture, comme l’agroécologie, la permaculture ou la microagriculture bio-intensive, peuvent produire — avec beaucoup moins d’énergie — des rendements à l’hectare comparables ou même supérieurs à l’agriculture industrielle, sur de plus petites surfaces, tout en reconstruisant les sols et les écosystèmes, en diminuant les impacts sur le climat et en restructurant les communautés paysannes. Le Grupo de Agricultura Orgânica (GAO) de Cuba a reçu le prix Nobel alternatif (Right Livelyhood Award) en 1999 pour avoir démontré cela de manière concrète et à grande échelle. Aujourd’hui, l’agroécologie est même reconnue et promue à l’ONU et à la FAO ! Alors pourquoi ces alternatives performantes et crédibles ne décollent-elles pas ? Pourquoi sommes-nous toujours « prisonniers » de l’agriculture industrielle ?

La réponse se trouve dans la structure même de notre système d’innovation pavé d’impasses et de sens interdits. Lorsqu’une nouvelle technologie est plus performante, elle ne s’impose pas automatiquement. Loin de là ! Il est même souvent très difficile de changer de système technique, car le système dominant verrouille l’innovation malgré les preuves de sa propre inefficacité. C’est un phénomène que les sociologues de l’innovation appellent le « verrouillage socio- technique » (lock-in).

Nous sommes dépendants des choix technologiques de nos ancêtres. Par exemple, nous nous arrêtons tous à la station-essence pour remplir notre réservoir parce que nos ancêtres (certains d’entre eux !) ont à un moment décidé de généraliser l’utilisation du moteur thermique, de la voiture et du pétrole. Nous sommes coincés dans ces choix. Les trajectoires technologiques actuelles sont donc en grande partie déterminées par notre passé, et bien souvent, les innovations technologiques ne font que tenter de résoudre les problèmes des précédentes. Or, comme le résume l’expert Gregory Unruh, cette « évolution dépendante-au-sentier peut créer des culs-de-sac technologiques ».

 

COMMENT UN SYSTÈME SE VERROUILLE

Prenons deux exemples éloquents, le système électrique et le transport automobile. Dans le premier cas, lorsqu’une ou plusieurs centrales électriques sont suffisamment bien installées, un cycle d’autorenforcement s’enclenche. Le gouvernement, par l’intermédiaire d’incitants économiques ou de législations favorables, pérennise le système de production électrique en permettant aux investisseurs de le développer, et donc de prévoir la génération de centrales suivantes, plus performante. Progressivement, la croissance de ce système technique génère une économie d’échelle et une baisse des coûts qui en retour augmentent la disponibilité du système pour un plus grand nombre d’utilisateurs. Ce faisant, le système électrique entre dans les habitudes des consommateurs, et le prix de l’électricité, devenu abordable, favorise non seulement son expansion, mais aussi une consommation croissante d’énergie. Ensuite, ce système sociotechnique se généralise et donne lieu à une multitude d’innovations secondaires qui permettent de l’améliorer et de le consolider peu à peu. Enfin, la demande augmentant, le gouvernement prend des mesures favorables à son expansion, et ainsi de suite…

Pour le transport automobile, un cycle similaire s’est mis en place. En promouvant la densification des infrastructures routières, les gouvernements intensifient l’usage qu’en font déjà les conducteurs (car ils peuvent aller toujours plus loin et plus vite), et permettent à de nouveaux utilisateurs de bénéficier de ces infrastructures. Puis, l’usage croissant du système routier favorise l’investissement et l’aide publique. Le revenu des taxes croit de manière vertigineuse, permettant ainsi au système de s’étendre. Notons que les gouvernements ne sont pas toujours à l’origine de ce cycle. Le « complexe techno-industriel » généré par ces cycles est à la fois privé et public. Ce sont d’ailleurs les interactions entre les systèmes technologiques et les institutions sociales qui peuvent créer des absurdités économiques, techniques et politiques.

Le côté autoréférentiel de ce processus est fondamental. Plus ce système dominant se renforce, plus il a les moyens de conserver sa domination. Il phagocyte l’ensemble des ressources disponibles, et empêche « mécaniquement » l’émergence d’alternatives, alors que c’est précisément au début qu’une innovation a besoin de soutien et d’investissement. Autrement dit, les « petites pousses » ne sont pas en mesure de rivaliser avec le grand chêne qui leur fait de l’ombre. Le drame est qu’en empêchant les petits systèmes à la marge de s’épanouir, on se prive de solutions potentielles pour l’avenir.

Les mécanismes de verrouillage sont nombreux et très divers. Notre objectif n’est pas tant de les décrire dans leur intégralité que de montrer leurs natures très différentes. Il y a d’abord les aspects purement techniques. Par exemple, un système dominant peut décider de la compatibilité (ou pas) entre les objets introduits sur le marché par de petits concurrents émergents comme c’est souvent le cas dans le domaine de l’informatique.

Les mécanismes de verrouillage peuvent aussi être d’ordre psychologique. Par exemple, une équipe de recherche de l’université d’Indiana aux Etats-Unis a montré que les investissements pour la conception de technologies innovantes dépendaient plus des trajectoires du passé que des souhaits pour l’avenir. Pour le dire autrement, les investisseurs ne sont pas aussi téméraires qu’on pourrait le penser, ils ont tendance à préférer investir dans ce qui fonctionne déjà et que les ingénieurs peuvent améliorer, plutôt que dans un système inconnu qui n’a pas encore fait ses preuves. Pour le choix d’un réfrigérateur, passe encore, mais pour celui d’un nouveau régime politique, cela peut être plus gênant. En effet, si un peuple devait tester tous les régimes à grande échelle avant de choisir le meilleur, jamais la démocratie n’aurait pu émerger, et nous serions toujours à l’âge de pierre ! Dans le même esprit, un autre facteur de blocage psychologique est lié à l’inertie des comportements individuels. Lorsqu’un système est implanté, il crée des habitudes dont nous avons du mal à nous défaire : les sacs plastiques des supermarchés, la vitesse de 130 km/h sur les autoroutes, etc.

Il y a aussi des mécanismes institutionnels, comme les cadres légaux et réglementaires qui empêchent l’émergence des nouveaux (mis en place pour faciliter les précédentes innovations), ou la difficulté qu’ont les gouvernements à renoncer à des grands programmes de subvention. Par exemple, au niveau mondial, l’ensemble des subventions accordées aux énergies fossiles était de 550 milliards de dollars en 2013 (contre 120 milliards aux énergies renouvelables). L’inertie institutionnelle d’un système se reflète aussi dans la construction de « grands projets inutiles », comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou le barrage de Sivens, où des investissements massifs sont engagés sur base de décisions remontant à une époque où les conditions (économiques, sociales ou environnementales) n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Enfin, un autre mécanisme institutionnel de verrouillage est simplement l’existence d’infrastructures très lourdes liées à une source d’énergie. En effet, le recyclage des centrales nucléaires ou des raffineries de pétrole n’est pas une mince affaire. Changer de type d’énergie revient à renoncer à tout ce que les institutions ont investi et construit dans le passé, et qui ont encore des conséquences économiques et sociales sur le présent et sur le futur. En psychologie sociale, ce mécanisme est appelé « piège abscons ». Il désigne la tendance des individus à persévérer dans une action, même lorsque celle-ci devient déraisonnablement coûteuse ou ne permet plus d’atteindre les objectifs. En matière de vie affective, par exemple, c’est cette tendance à rester avec un partenaire qu’on n’aime plus, parce qu’« on ne peut pas avoir vécu toutes ces années pour rien »

Mais revenons un instant sur la raison d’être d’une institution : n’est-elle pas justement une structure qui permet de conserver le patrimoine accumulé ? En effet, la plupart des institutions (universités, syndicats, administrations, etc.) ont été conçues pour garantir le maintien des acquis, c’est-à-dire pérenniser la société. Et c’est plutôt une bonne chose, on ne peut pas leur reprocher cela ! De plus, ces institutions consacrent (souvent) une partie de leurs ressources à l’innovation, c’est-à-dire au renouvellement des idées. Mais le problème du verrouillage est que cet espace d’innovation est systématiquement accaparé par le système sociotechnique dominant. En sciences agronomiques, par exemple, un doctorant en agroécologie trouvera aujourd’hui sur son parcours infiniment plus d’obstacles et moins de crédits qu’un doctorant en agrochimie ou en ingénierie génétique. Sans compter qu’il publiera beaucoup plus difficilement dans des revues scientifiques « prestigieuses », et aura donc moins de chance de faire carrière dans la recherche. Et Jean Gadrey, ancien professeur d’économie à l’Université de Lille, de s’insurger : « allez donc confier [l’agriculture du futur] à une académie des “meilleurs experts” de l’INRA où, sur 9 000 postes, on ne trouve que 35 emplois en équivalent temps plein dans les recherches sur l’agriculture biologique! ».

Des mécanismes de verrouillage peuvent être également décelés dans l’action collective. Par exemple, les citoyens impliqués dans la lutte contre le réchauffement climatique et la construction d’un monde « post-carbone » se comptent par dizaines de millions (on le voit dans les campagnes de sensibilisation, les manifestations, les pétitions et les débats), mais ils sont dispersés et peu coordonnés (sans compter qu’ils utilisent comme tout le monde les énergies fossiles pour vivre). À l’opposé, les personnes engagées dans la production d’énergie à partir de combustibles fossiles sont bien moins nombreuses. Le groupe Total, par exemple, compte 100 000 « collaborateurs » (dont certains sont probablement persuadés qu’il faut lutter contre le réchauffement climatique) qui sont beaucoup mieux organisés et disposent de fonds considérables (22,4 milliards d’euros d’investissements bruts en 2013). Bref, un système technique en place se donne les moyens de résister au changement.

Ne soyons toutefois pas naïfs, le verrouillage n’est pas que « mécanique », il est aussi le résultat de campagnes de lobbying intenses. En France, par exemple, afin de pouvoir « évacuer » la production nucléaire d’électricité (qu’il est très difficile de stocker), certains entrepreneurs proposent encore d’installer un chauffage électrique dans les nouvelles constructions, ce qui est une aberration thermodynamique ! Ces campagnes peuvent même sortir du cadre légal. En 1968, General Electric pratiquait un marketing agressif pour imposer aux promoteurs immobiliers ce même type de chauffage, « allant jusqu’à menacer les promoteurs de ne pas raccorder leurs lotissements s’ils proposaient d’autres sources d’énergie ». Le développement de l’énergie solaire aux Etats-Unis dans ces années-là a donc été étouffé alors qu’elle constituait une meilleure solution technique. De la même manière, pour faire basculer le monde paysan dans le système des pesticides (la fameuse « révolution verte »), les firmes agrochimiques ont dû déployer une énergie et une inventivité considérables, car la plupart des paysans étaient réticents à ce type de « progrès ». Les convaincre n’a pas été une sinécure, comme en témoignent des images d’entomologistes qui sont allés jusqu’à boire du DDT devant les sceptiques pour leur prouver que ce n’était pas toxique !

UN PROBLÈME DE TAILLE

Là où le problème devient sérieux, c’est que la globalisation, l’interconnexion et l’homogénéisation de l’économie ont eu un effet pervers de renforcement du verrouillage, en augmentant exagérément la puissance des systèmes déjà en place. Une fois qu’un système efficace s’implante dans une région ou un pays, il se répand assez vite dans d’autres pays par effet de contagion. L’efficacité des systèmes en place rend ensuite difficile de sortir de ce paradigme, surtout lorsqu’on instaure une compétition entre tous les pays. Ce « global lock-in » peut être illustré par trois exemples : le système financier, le système énergétique basé sur le carbone, et la croissance.

Ces dernières années, la finance s’est concentrée en un nombre réduit d’immenses institutions financières. En Grande-Bretagne, par exemple, la part de marché des trois plus grandes banques est passée de 50 % en 1997 à presque 80 % en 2008. Ce phénomène de concentration a obligé les Etats à donner des garanties bancaires implicites, ce qui a érodé la discipline du marché et a encouragé les banques à prendre des risques excessifs. Sans compter que les liens sont devenus « très étroits » entre ces institutions et les gouvernements… C’est ainsi que ces institutions financières sont devenues « too big to fail » (trop grandes pour faire faillite) ou « too big to jail » (trop grandes pour aller en prison).

L’histoire du carbone et de son complexe techno-industriel est probablement le plus grand verrouillage de l’Histoire. « Les “conditions initiales”, l’abondance de charbon ou de pétrole, mais aussi des décisions politiques encourageant une source d’énergie plutôt qu’une autre [ont déterminé] les trajectoires technologiques sur une très longue durée. » Aujourd’hui, si on retire le pétrole, le gaz et le charbon, il ne reste plus grand-chose de notre civilisation thermo-industrielle. Presque tout ce que nous connaissons en dépend, les transports, la nourriture, les vêtements, le chauffage, etc. La puissance économique et politique des majors du pétrole et du gaz est donc démesurée. Pire, les acteurs de la transition ont besoin de cette puissance pour construire un système énergétique alternatif, aussi renouvelable soit-il. C’est probablement la raison pour laquelle il est si difficile de trouver un accord international pour modérer le réchauffement climatique. Le paradoxe est plutôt cocasse : pour espérer survivre, notre civilisation doit lutter contre les sources de sa puissance et de sa stabilité, c’est- à-dire se tirer une balle dans le pied ! Quand la survie de la civilisation dépend totalement d’un système technique dominant, c’est le verrouillage ultime.

La croissance économique procède de la même logique. La stabilité du « système-dette » repose entièrement sur la croissance économique : le système économique mondial ne peut se passer de croissance s’il veut continuer à rembourser les crédits, à faire fonctionner le système de pensions, à empêcher la montée du chômage et des tensions sociales ou même à développer les alternatives à la croissance. Aucune de nos institutions n’est adaptée à un monde sans croissance. « À la moindre contraction de l’économie, tout l’édifice s’effondre : il a été conçu pour et par la croissance, il ne peut tout simplement pas fonctionner sans (essayez de ralentir et faire redescendre une fusée pour la poser en douceur). Les dettes ne seront jamais remboursées, et le château de cartes financier s’effondrera au moment où l’on s’en rendra compte. » Comme avec le carbone, pour que le système économique global puisse se transformer avec souplesse et agilité, il a besoin de fonctionner de manière optimale, c’est-à-dire avec une forte croissance ! Savourez alors l’autre paradoxe : ce dont la transition a besoin, c’est d’une forte croissance économique. Et son corollaire : il est donc difficile d’envisager une contraction contrôlée du système économique global.

Nous avons créé (surtout nos ancêtres) des systèmes gigantesques et monstrueux qui sont devenus indispensables au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Non seulement ils empêchent toute transition, mais ils ne peuvent même plus se permettre qu’on les taquine, sous peine de s’effondrer.

Comme le système est autoréférentiel, il est évident qu’on ne pourra pas trouver des solutions à l’intérieur du système dominant. Il faut donc cultiver les petites niches d’innovation à la marge. C’est tout l’objet de la transition. Mais y a-t-il encore des marges ?

Ah ! Si nos politiques avaient le courage… Bien sûr, il en faut, et il en faudra, mais nous avons vu qu’il fallait aussi autre chose. Le monde politique, structurellement orienté vers des choix à court terme, n’a que peu de degrés de liberté. Comme le dit très lucidement Barack Obama, « je pense que le peuple américain a été, et continue à être, si concentré sur notre économie, nos emplois et la croissance, que si le message est quelque part d’ignorer les emplois et la croissance simplement pour traiter la question climatique, je ne pense pas que quiconque s’engagera dans cette voie. Moi je ne m’y engagerai pas ».

L’IMPASSE ?

Nous avons escaladé très rapidement l’échelle du progrès technique et de la complexité, dans ce que l’on pourrait considérer comme une fuite en avant qui s’auto-entretient. Aujourd’hui, alors que la hauteur de l’échelle du progrès génère un certain vertige, de nombreuses personnes se rendent compte — avec effroi — que les échelons inférieurs de l’échelle ont disparu, et que l’ascension continue inexorablement, malgré eux. Arrêter ce mouvement ascendant et redescendre tranquillement pour retrouver un mode de vie moins complexe, sur la terre ferme, n’est plus possible. à moins de sauter de l’échelle, c’est-à-dire en subissant un choc pour celui qui le fait, ou en provoquant un choc systémique majeur si de nombreuses personnes lâchent l’échelle en même temps. Ceux qui comprennent cela vivent avec une angoisse : plus la fuite en avant continuera, plus la chute sera douloureuse.

Cependant — et d’aucuns l’auront remarqué —, si on a pu imposer de nouveaux systèmes techniques à grande échelle (pensez aux pesticides), c’est bien que le phénomène de verrouillage n’est pas une fatalité. Alors comment fait-on pour déverrouiller un système ? Pourrait-on imaginer accélérer la transition ? Nous explorerons cette piste dans un prochain article.

Pablo Servigne & Raphaël Stevens, décembre 2014 

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