COP 21, les dessous d'un accord
Une bonne analyse de Stefan AYKUT, co-auteur de "Gouverner le climat ?" avec A. Dahan
Impression qu'il y a eu pour la première fois un accord entre tous les pays sur la réalité des émissions anthropiques de GES, mais c'est pour les valoriser et faire du développement durable. Rappelons que le "développement" est l'autre appellation de l' "accumulation primitive du capital" et sous-entend, valorisation ou privatisation des biens communs, destruction des communautés villageoises, et afflux de "réfugiés" en ville afin d'offrir leurs bras le moins chèr possible. Aujourd'hui c'est le climat qui est valorisé via le marché carbone et la géo-ingénierie, et le problème c'est que les réfugiés chassés de leur terre par la montée des eaux et la sècheresse ne trouveront pas de travail, car le développement durable crée moins d'emploi que le développement tout court...
COP21 : les ombres d’un accord
LE MONDE | 16.12.2015 à 13h18
Par Stefan Aykut
Ton grave et appels vibrants de la communauté internationale accompagnaient les discours du ministre des affaires étrangères et président de la COP21, Laurent Fabius, du chef de l’Etat, François Hollande, et du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, samedi 12 décembre, au Bourget (Seine-Saint-Denis), avant la présentation du texte final de l’accord sur le climat. Après l’adoption, le soir, l’ambiance était à l’euphorie. Six ans après la conférence de Copenhague, quatre ans après celle de Durban, qui a lancé le cycle de négociations actuelles, dix mois après la compilation d’un premier brouillon à Genève, et presque deux semaines après le début des négociations de Paris, le 30 décembre, voilà donc – enfin ! – un nouvel accord, universel, pour lutter contre le réchauffement climatique.
Pour le meilleur et pour le pire, l’accord de Paris reflète notre monde, tel qu’il est, avec toutes ses contradictions. Le texte entérine des objectifs très ambitieux – contenir le réchauffement climatique à 2 °C, voire viser 1,5 °C – et établit un processus plutôt robuste pour la soumission des engagements de réduction des pays et leur révision à la hausse tous les cinq ans. Cette révision commencera en 2020. Au regard de l’insuffisance des contributions nationales actuelles – ces fameuses INDC que chaque pays devait soumettre avant Paris –, on aurait pu espérer une date plus rapprochée pour cette première révision. Mais la date retenue est déjà ambitieuse vu les options qui étaient sur la table. La Chine, par exemple, proposait… 2029 pour cette première révision.
L’adaptation est traitée dans un article, un autre concerne les engagements de financement en faveur des pays en développement. Un article entier est consacré à la notion de pertes et dommages, qui désigne les incidences du réchauffement (événements extrêmes, désertification, montée des mers) pour lesquels l’adaptation ne suffira pas. La reconnaissance de cette problématique constitue une victoire majeure pour les petits pays insulaires et les pays les moins avancés, qui avaient porté cette revendication. Comme trop souvent, le diable est dans les détails : l’article 52 de la décision, adoptée en même temps que l’accord, exclut toute responsabilité juridique, donc toute possibilité de demander des indemnisations devant les tribunaux. C’était une ligne rouge des Etats-Unis.
Déception des mouvements sociaux
L’accord relègue aussi toute référence aux droits humains, à l’égalité des sexes et entre générations, aux droits des peuples indigènes, et à la nécessité d’une transition juste pour les travailleurs dans le préambule. Les mouvements sociaux, ONG et syndicats qui s’étaient battus pour inclure ces points dans l’accord sont déçus… Mais, pourrait-il en être autrement, vu que ces droits ne sont pas respectés par une grande partie des pays réunis au Bourget ?
Sur le sujet extrêmement difficile de la différenciation entre pays développés et pays en développement, au cœur de tous les débats, un équilibre fragile a été trouvé : le texte réaffirme que les pays du Nord doivent aller de l’avant, en réduisant leurs émissions et en fournissant une aide financière croissante aux pays du Sud.
Par ailleurs, il encourage les pays en développement à participer progressivement à l’effort de réduction et à fournir, après 2020, et sur la base du volontariat, des financements aux pays les plus pauvres. L’accord prend acte, timidement, de la reconfiguration des équilibres géopolitiques du monde.
Alors que la lecture Nord-Sud des enjeux climatiques restait très présente dans les discours, à l’intérieur comme à l’extérieur du Bourget, elle a progressivement perdu de sa force structurante dans les négociations. La preuve, le G77 + Chine, alliance historique des pays du Sud, est apparu comme de plus en plus divisé.
Ce n’est pas une surprise, quand on sait que l’essentiel de l’augmentation des émissions est désormais dû à l’essor des grands pays émergents. Leur croissance très carbonée pèse sur l’avenir des pays les plus vulnérables. C’est peut-être une des grandes nouvelles de cette COP21 : dans un monde sous contrainte climatique, l’invocation du « droit au développement » ne suffit plus pour unir le Sud.
Flou sur la transformation à venir
L’accord reste beaucoup plus flou quand il s’agit de désigner plus concrètement la transformation à venir. Pas question de mentionner la nécessité d’abandonner les énergies fossiles ni même de viser une « décarbonisation » de l’économie mondiale. Non, l’objectif est de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques, par les sources, et les absorptions anthropiques, par les puits de gaz à effet de serre, au cours de la seconde moitié du siècle ».
Incompréhensible ? Cette formulation alambiquée témoigne surtout de la lutte acharnée des pays pétroliers, charbonniers et gaziers pour éviter toute référence aux énergies fossiles. Ils sont rejoints en cela par les grands émergents, qui comptent développer leurs réserves et ne souhaitent pas qu’on leur impose des limites. La formule laisse, d’ailleurs, toute la latitude à l’utilisation massive, à l’avenir, des « solutions » techniques : du stockage et piégeage du carbone à la géo-ingénierie.
Autre « oublié » du texte : le commerce mondial. Le libre-échange reste sacro-saint, ainsi que les secteurs des transports maritimes et aériens, en pleine croissance et dont la contribution au réchauffement correspond déjà à celles, réunies, de l’Allemagne et du Royaume-Uni.
La COP21 aura aussi montré que les défenseurs les plus ardents du libre-échange ne se trouvent plus seulement au Nord, mais aussi au Sud. La lutte effrénée pour les ressources et la concurrence acharnée pour des parts de marché ne sont plus l’apanage du Nord. Il faut en prendre acte. Le climat n’a pas été sauvé à Paris. L’accord donne un cap, mais le chemin qui reste à parcourir est immense. Il passe par la redéfinition de ce que veulent dire la croissance, le développement, et la prospérité dans un monde fini.
Stefan Aykut est politologue et sociologue au Laboratoire interdisciplinaire sciences, innovations, société
(Institut national de la recherche agronomique/Université Paris-Est) et chercheur associé au Centre Marc Bloch de Berlin. Il a publié, avec Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Presses de Sciences Po, 750 p., 23 €.