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Décroissance Ile de France
28 octobre 2023

Nucléaire : étrange ballet de combustible à l’EPR de Flamanville

https://www.ouest-france.fr/economie/energie/electricite/nucleaire-etrange-ballet-de-combustible-a-lepr-de-flamanville-8dde1f58-7345-11ee-8ee4-6d23d2858b34

Le démarrage de l’EPR de Flamanville (Manche) est attendu en 2024. Une partie du combustible initialement prévu repart chez Framatome, sans raison clairement explicitée.
Ouest-France  Olivier CLERC et André THOMAS.Publié le 27/10/2023 à 07h00

La communication d’EDF l’assure, « il n’y a pas de sujet combustible  ». Et pousse le raisonnement plus loin, rappelant que « tout ce qu’on a proposé en la matière pour l’EPR (de Flamanville, dans la Manche) a été validé par l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) et l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) ».
Certes, le gendarme du nucléaire a accepté les solutions techniques avancées. La question dudit combustible mérite pourtant d’être posée, au regard d’événements nocturnes observés il y a peu autour de la centrale qui devrait démarrer en 2024.
Le réacteur de l’EPR normand est appelé à fonctionner avec 241 assemblages identiques à ceux qui ont mis à l’arrêt depuis janvier dernier son cousin chinois de Taishan. Justement à cause de l’apparition de problèmes sur son combustible.
Des turbulences du flux hydraulique dans la cuve ont endommagé des ressorts installés en périphérie du dispositif (64 assemblages concernés), « les plus sollicités pendant le fonctionnement » dépeint l’ASN. Par ailleurs, sont réapparues des oxydations de gaines de combustible (teneur en fer insuffisante, déjà identifiée en 2020 à la centrale ardennaise de Chooz). Tout cela, EDF l’a fait corriger par sa filiale Framatome.

En janvier, cette dernière livrait une nouvelle version des 64 éléments incriminés, et Alain Morvan, le directeur du projet EPR, signifiait récemment que les non conformes resteraient stockés sur place pour être injectés plus tard dans le réacteur, hors périphérie du « fagot » d’assemblages, en un emplacement moins sensible. Alors, pourquoi ces discrètes réexpéditions récentes chez Framatome ?
Le convoi du 20 octobre. Il est 5 h du matin, des assemblages de combustible nucléaire quittent le site de l’EPR de Flamanville pour retourner chez Framatome à Romans-sur-Isère. | GREENPEACEVoir en plein écran
Vendredi 20 octobre 2023, à 5 h du matin, un semi-remorque frappé du sigle nucléaire à l’arrière de sa bâche, quittait en effet sous escorte policière le site de Flamanville. Direction : Romans-sur-Isère où sont fabriqués les combustibles (selon nos informations, un autre était prévu ce vendredi 27 octobre).
« C’est bizarre, relève Yannick Rousselet, consultant indépendant en sûreté nucléaire et représentant de Greenpeace France. Les convois normaux partent à partir de 8 h. L’intention serait-elle de garder ça caché ? » EDF confirme, dit avoir « dans un souci d’optimisation économique, décidé de recycler 17 assemblages […], et la matière sera réutilisée ». Les 47 autres restent sur place et seront « réutilisés à l’avenir ». Où ? À quoi, les assemblages de l’EPR n’ayant pas la même longueur que ceux des centrales classiques ? Pourquoi seulement 17 ? Questionné précisément, EDF reste évasif. Les silences de l’ASN et de l’IRSN sur le sujet s’expliquent, l’énergéticien n’étant pas tenu de leur déclarer ce type de transport

Après Taishan, les problèmes au cœur du réacteur de Flamanville
Les divers problèmes rencontrés sur le combustible et le réacteur de l’EPR de Taishan 1 – le premier à être entré en service dans le monde, en décembre 2018 – peuvent-ils ralentir un peu plus la mise en service de celui de Flamanville, voire ceux, encore en construction, de Hinkley Point, au Royaume-Uni ?

EDF assure que non.

L’Autorité de sûreté nucléaire a, pour sa part, validé les différentes solutions aux différents problèmes qui ont conduit à l’arrêt prématuré de Taishan 1 et qui, donc, sont susceptibles de se produire également sur l’EPR de Flamanville.
Pour mesurer ce qui se joue, il faut tout d’abord comprendre comment est constitué le combustible d’un réacteur d’EPR, proche, mais en plus large et plus long, de celui des autres réacteurs en service en France.
Ce qu’on appelle « combustible » est un ensemble cylindrique composé d’une forêt 64 000 tubes très fins, de 4 mètres de long et moins d’un centimètre de diamètre (0,6 mm), contenant des pastilles d’uranium enrichi.
Ces tubes, qu’on appelle des crayons, sont réunis par groupes de 265. Chaque groupe constitue un assemblage. Dans chaque assemblage, les crayons passent par des grilles, dans lesquelles ils sont maintenus par des ressorts plats. Il y a une grille tous les 50 cm environ et l’ensemble est rigidifié par des barres soudées aux grilles.
Un réacteur d’EPR compte 241 de ces assemblages. Un combustible complet compte donc presque 64 000 crayons. C’est entre les crayons que se produit la réaction nucléaire qui crée de la chaleur. Celle-ci chauffe l’eau du circuit primaire circulant à grande vitesse dans la cuve. C’est cette chaleur, transmise à un deuxième circuit, qui produit la vapeur qui fait ensuite tourner la turbine de la centrale.

Un alliage qui « pèle »
Les problèmes rencontrés à Taishan et qu’on veut éviter de voir se produire à Flamanville sont de trois ordres. Le premier, déjà rencontré sur d’autres réacteurs en service en France (il a été identifié pour la première fois sur le réacteur 2 de Chooz en février 2021), provient de l’alliage à base de zirconium dont sont constituées les gaines des crayons (cet alliage est baptisé M5).
L’irrégularité du taux de fer dans le minerai de zirconium conduit à ce que certains lots de gaines s’oxydent plus vite, amenant à une perte de matière, sous forme de petits copeaux blancs qui se détachent des gaines. Le problème se pose dans la partie haute des réacteurs les plus puissants d’EDF (1 300 et 1 450 mégawatts, l’EPR faisant 1 650 mégawatts). L’IRS et l’ASN ont considéré que cela ne menace pas l’étanchéité des gaines au cours d’un cycle de fonctionnement. Framatome, qui fournit ces gaines, a mis au point un nouvel alliage plus riche en fer, qui résout le problème. Mais celui-ci a été identifié après la fabrication des assemblages destinés à Taishan et Flamanville.


Des gaines d’uranium qui percent
Le deuxième problème, qui est celui qui a provoqué l’arrêt prématuré de Taishan 1, est la rupture de lames de ressorts maintenant les tubes dans certains assemblages situés à la périphérie du combustible. Le problème, causé notamment par une corrosion sous contrainte, a déjà été rencontré sur des réacteurs en France, mais jamais à cette échelle. Cette rupture de ressorts a entraîné le percement de la gaine de nombreux crayons et la diffusion dans le circuit primaire d’un niveau excessif de gaz radioactifs, imposant l’arrêt d’urgence. EDF a proposé une solution, acceptée par l’ASN, consistant à installer, pour les 64 assemblages situés en périphérie du combustible de l’EPR de Flamanville, de nouveaux assemblages en alliage plus résistant et dont les grilles et les ressorts ont subi un traitement thermique particulier les rendant résistant à la corrosion sous contrainte. Les assemblages situés à l’intérieur sont moins exposés au problème même si l’IRSN estime que « le risque de rupture de ressorts ne peut être exclu ».


Des barres de combustible qui frottent
Le troisième problème est lié, lui, à un défaut de conception de la cuve de l’EPR. Le mouvement très puissant de l’eau réchauffée par la réaction nucléaire n’est pas conforme à ce qui était espéré et provoque des oscillations anormales des assemblages, dont les grilles frottent contre un réflecteur, une pièce métallique qui protège la paroi de la cuve du bombardement de neutrons. Le problème, identifié dès la conception de la cuve lors d’essais en maquette, sera traité, dans un premier temps en renforçant la rigidité des assemblages. Dans un second temps, il faudra modifier le réflecteur. Mais cela suppose de réaliser de nouveaux et longs tests en maquette.


Une cuve à modifier
D’ici là, les solutions palliatives proposées par EDF seront-elles suffisantes pour Flamanville 3, du moins le temps du premier cycle de fonctionnement (à l’issue duquel il faudra aussi changer le couvercle de la cuve, pour cause de défauts dans l’acier) ? EDF, interrogé, indique que « l’IRSN a émis un avis favorable sans réserve sur le dossier remis par EDF, et l’ASN a signalé la suffisance de l’analyse menée et le caractère positif de la modification décidée par EDF ». Par ailleurs, l’ensemble des assemblages combustibles nécessaires au chargement du réacteur « est déjà disponible sur le site de Flamanville ». Plus globalement, le chargement du réacteur de l’EPR de Flamanville, qui reste « prévu au premier trimestre 2024 », intégrera « tous les enseignements tirés de l’exploitation des deux réacteurs EPR de Taishan et celui d’Olkiluoto en Finlande ».
La question se pose aussi de savoir si, après Taishan et Flamanville, ces défauts seront corrigés à temps pour les deux EPR vendus par EDF au Royaume-Uni et qui sont en cours de construction à Hinkley Point.

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