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Décroissance Ile de France
26 septembre 2018

Pour une décroissance féroce du temps de travail

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Intervention au colloque organisé par Décroissance île de France, le 19 mai 2018. Paris.
 

Ce qui m’intéresse le plus dans l’orientation ? l’option économique ? la philosophie ? décroissante,… je ne sais comment classer la décroissance… c’est la décroissance du temps de travail, comme condition première d’un enrichissement de la vie qui ne devrait plus être soumis au calcul économique de « l’unidimensionnel » (H. Marcuse).
Je vais plaider lourdement pour une importance réduction du temps de travail, réduction « féroce»pour reprendre une formulation de Serge Latouche.
Avant d’appuyer ma démonstration sur quelques citations d’auteurs majeurs : Serge Latouche, André Gorz, Dany-Robert Dufour, Cynthia Fleury,… Je vais commencer avec l’énonciation d’évidences, et bon gros bon sens, que certains peuvent trouver lourdingue… Lourd au début, plus léger vers la fin, avec une évasion romanesque.

Lourd et primaire : la décroissance suppose, exige une économie économe.
Econome en énergie,en matières premières, économe de la force de travail. Cette économie précautionneuse suppose que nous produisions au mieux des valeurs d’usages durables, ce qui signifie le refus des obsolescences quantifiées. Il nous faudrait refuser une grande partie de la publicité, l’excitation des besoins/désirs. Une production mesurée de valeurs d’usage durables nécessiterait moins de produits, moins de production, moins de travail.
Je suis dans le lourdingue, ça va s’aggraver pour un moment.
Une économie économe pourrait – devrait -  prioritairement permettre d’économiser le temps de travail.
A l’échelle d’une société, cela s’appelle la réduction du temps de travail.
Eh oui (attention, c’est du lourd!), si les téléviseurs, réfrigérateurs, ordinateurs, ratons laveurs, sans compter les aspirateurs, les engins à moteurs (automobiles), duraient, mettons 3 fois plus longtemps , le consommateur lambda (vous et moi), dépensant moins, pourrait à niveau de confort inchangé, travailler moins. Une réduction du pouvoir d’achat serait même envisageable – à partir d’un certain niveau de revenu - … je précise : pour ne pas me faire décapiter par les syndicalistes présents !  
L’abondance jetable pourrait être remplacée par la frugalité conviviale. Une bonne façon de vivre mieux, plus légèrement, ainsi allégé de contribuer au ralentissement du dérèglement climatique.
Garder son frigo plus longtemps c’est consolider la glace aux pôles…
Frugalité conviviale... nous  nous approchons des thèses d’Ivan Illich, Serge Latouche, Pierre Rabhi,…

Et pourtant,… il est plus facile d’imaginer la fin du monde, que la fin du productivisme, la fin du capitalisme écrit Jean-Claude Michéa. Le capitalisme est nécessairement productiviste, l’anti- productivisme décroissant est, de facto, anticapitaliste et, j’ajoute anti-travailliste.
Puisqu’il s’agit de produire avec parcimonie pour ménager la planète et le producteur. C’est, ce serait la décroissance une option d’utilité écologique et d’écologie mentale.
Et, Paul Lafargue qui n’était pas un marxiste productiviste d’écrire : «… il faut arrêter de réclamer le droit au travail qui n’est que le droit à la misère » et, plus loin il ajoute si l’on travaillait moins : « La vieille terre frémirait d’allégresse sentant bondir en elle un nouvel univers ! » « Le droit à la paresse » a été écrit en 1883 et l’on y trouve déjà l’écologie mentale couplée avec l’écologie environnementale.


Oui, mais, dans cette économie économe il faudrait reconsidérer, repositionner l’usage d’une importante fraction de la force de travail.
Et, supprimer sans délai les « boulots de merde » (bullshit jobs) débusqués par David Graeber, ces connes occupations ont pour principale fonction de maintenir l’illusion de la socialisation et solvabilisation passant nécessairement par l’emploi. Les faux emplois ont pour fonction de consolider la société hiérarchisée des privilèges. L’on devrait également questionner la réalité productive d’une bureaucratie proliférante. Dans nombre d’entreprises, amis également dans les communes, les départements, l’assemblée nationale,...  
Travailler moins, implique de faire travailler tout le monde, si tout ces emplois parasitaires, d’utilité fictive étaient reconvertis vers des secteurs d’utilité réelle, nous pourrions travailler beaucoup moins
collectivement, individuellement. Bien sûr la définition de l’utilité réelle exige une discussion avant définition. Pour discuter sereinement il faut prendre son temps, donc travailler moins. « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! » Le mot d’ordre de l’An 01, demeure vachement moderne !



Le travail est mort...
Si nous suivons Jean Baudrillard dans sa critique radicale : « le travail est mort. Ce qu’il en reste n’a d’autre fonction que de se reproduire lui même comme instrument d’assujettissement du travailleur » De mémoire, dans un livre au titre parlant : « L’échange symbolique et la mort ».
Nous sommes en mai 2018, cinquante ans après 68, c’est à cette époque que Guy Debord écrivit sur un mur (rue de Seine?) : « Ne travaillez jamais ! ».Sans doute légèrement excessif, pourtant à reconsidérer sérieusement.
Cette année 2108 est également le bicentenaire de la naissance de l’auteur du Capital qui faisait de la réduction du temps de travail la condition d’une véritable émancipation : « Le domaine de la liberté commence où se termine celui de la nécessité. »
Si le capitalisme maintient et intensifie la nécessité du travail-emploi comme l’écrivait André Gorz, y compris en organisant le non emploi du chômage, il s’oppose à la liberté du plus grand nombre et plus encore à celle de « l’armée industrielle de réserve » à qui s’impose la discipline des quémandeurs d’emploi.

Pourtant, aujourd’hui, plus qu’hier (qu’en 1968), la société du post-travail, post-capitalisme, post-salariat est du domaine du possible, davantage du domaine du nécessaire.
Eh, oui ! Pour être moderne puisons nos arguments dans l’antique.
Avec un auteur contemporain, Dany-Robert Dufour, visitons deux concepts dont la formulation date de plus de 20 siècles. L’un grec: la Scholè, l’autre romain: l’Otium. Les deux s’opposant radicalement au travail-tripalium.

Avec Dufour, rencontrons Aristote. « Aristote imaginait que si un jour les navettes tissaient d’elles-mêmes, et si les plectres [baguettes de bois pour pincer les cordes] pouvaient jouer tous seuls de la cithares, alors les ingénieurs n’auraient pas besoin d’exécutants et les maîtres d’esclaves. » Politique, 1,4. Et, continue Dany-Robert Dufour « c’est une question d’autant plus immense,que la philosophie première d’Aristote allait jusqu’à justifier l’esclavage, il envisageait à terme sa suppression par une énergie mécanique autonome qui remplacerait l’énergie manuelle des hommes réduits à l’état de bêtes. » Et, déclaration importante, Dufour d’affirmer :«Si un futur révolutionnaire existe, il ne peut que passer par une remise en cause radicale du travail aliéné. » (Nous soulignons).



Aujourd’hui, robotique, intelligence artificielle permettent d’énormes gains de productivité, c’est près de 50 % des emplois, y compris des emplois qualifiés qui peuvent être avantageusement remplacé par des systèmes cybernétiques. L’étude d’Oxford, le cabinet Roland-Berger, l’un des
 
                                                                                                                                                                                                                                                                                       derniers rapports du FMI,… de multiples études rendent crédible le remplacement des hommes par des robots. Plongez vous dans les livres de Paul Jorion, de Martin Ford, de Bruno Teboul Nous avons les moyens techniques d’accomplir le souhait d’Aristote (- 384 à – 322), remettre le travail à sa place: tout à fait marginale.
Mais « ,L’occident, n’a pas compris que cette inventivité, la production cybernétique qui permet d’économiser du travail humain nous donnait les moyens de permettre à des millions d’hommes de sortir de leur état asservi et de participer pleinement à l’aventure humaine », je cite de nouveau D.-R. Dufour. Il est largement temps de faire avec André Gorz, nos « Adieux au prolétariat ». Et cela   pourrait être une bonne nouvelle.
Soyons moderne et révolutionnaire actualisons l’antique prophétie : retournons à l’école, i.e. à la scholè pour pratiquer avec satisfaction un Otium citoyen. Selon Sénèque (un romain de bel allure), solitude et société doivent se composer et se succéder. Parfois, le stoïcien s’adonne à la vie de « loisir », Otium en latin. Il ne s’agit pas de mener une vie oiseuse de farniente, mais d’une existence consacrée à l’étude de la nature et à la réflexion philosophique.
Tous philosophes ? Pourquoi pas ? La philosophie comme art de vivre (Pierre Hadot) est à la portée de tous et chacune. La vie philosophique peut se passer de la lecture de «  La critique de la raison pure », enrichir la vie peut se faire simplement en prenant le temps de ralentir pour vivre plus intensément.
C’est en ce sens que la décroissance comme art de vivre est une pratique philosophique de la vie.
La question qui surgit est celle de la valeur d’usage du temps, c’est à  dire de la vie elle même.
J .-M.Keynes en cas de réduction importante du temps de travail, craignait que la majeure partie de la population sombre dans une dépression nerveuse, quasi généralisée, faute de savoir s’occuper intelligemment. Une éducation au loisir est sans doute à mettre à l’ordre du jour.
La décroissance se manifeste sur un registre ontologique : avec une économie économe qui nous laisse d’abondants loisirs, au sens de scholè-otium s’entend, ( les séjours à Disneyland en option distractive), suppose que nous inventions un nouvel usage du temps dans une vie qui (ne) dure qu’un certain temps… Une rtt féroce et un revenu universel permettant une vie chichement décente nous placerait devant la question fondamentale : que faire de ma vie, dont j’ai l’entière responsabilité de l’usage ?
Le travail relégué aux a marges de la société ouvre de formidables espaces à… occuper.
 Cynthia Fleury (une dame balaise côté philo), d’écrire : « La conquête du temps est pour la liberté son premier défi. Le temps pour soi dont on définit soi même l’usage auto-déterminé », c’est l’otium ou la scholè.
A contrario, nous le savons, pour accaparer la survaleur (plus-value), la capitalisme organise le surtravail. Le temps c’est de l’argent déclament les petits Macron de France et de Navarre. La  décroissance comme projet politique et philosophique (visant la scholè généralisée), ne peut se construire qu’à partir d’un réduction féroce du temps de travail.


Nous réclamons un nouvel usage du temps contre l’usinage du temps. Et, de l’argent pour avoir les moyens d’inventer ce nouvel usage du temps. C’est urgent : la vie ne dure qu’un certain temps.


L’imagination au pouvoir
50 ans après un certain mai 68, il est temps de mette l’imagination au pouvoir. En décolonisant l’imaginaire dans le langage de l’orthodoxie décroissante,(Serge Latouche).
C’est urgent, en la période nous assistons à une véritable castration des « imaginatoires » ,… or contrairement aux affirmations de la défunte dame de fer des alternatives sont possibles, imaginables, à imaginer …
Dans le domaine de la futurologie, des utopies et autres dystopies, on pense souvent à Orwell, son 1984, à Huxley avec « Le meilleur des mondes », moins souvent , sans doute à Zamiatine, à son roman de futurologie effrayante « Nous autres » (1930). Où l’imagination est mise à mal : « L’imagination ! l’imagination ! Voilà le danger! Il faut opérer à une ablation chirurgicale de l’imagination. »  
Pour penser, imaginer le monde qui pourrait être il nous faut plaider pour une croissance du loisir sous les formes créatives de l’otium et de la scholè. Ce qui veut dire, appelle à une importante décroissance du temps de travail. La simplicité volontaire pour mieux appréhender les complexités d’une vie intellectuelle, artistique réussie. Une rencontre avec Henri-David Thoreau à Walden serait sans doute fort utile...
Quelques lignes de sociologie fiction  de Alain Damasio (dans « Au bal des actifs »), pour peut-être, stimuler les « imaginatoires ».
« Loin d’être une honte, ne pas travailler était redevenu quelque chose de positif. L’oisiveté privilèges des nobles à la Renaissance   était redevenu une vertu. Presque un savoir être. En cette année 2060 vivre du revenu universel était majoritairement ressenti comme une véritable émancipation, surtout parmi le vielles générations. » Damasio a « oublié » les grecs et les romains, qui, en ne travaillant pas, précédèrent les nobles de la Renaissance.
De l’argent, pour inventer un nouvel usage du temps. Revenu de base(universel), Damasio nous donne une utopie dynamique et séduisant.


S’il est une œuvre classique où règne une imagination débridée, c’est bien le Don Quichotte de Cervantés. Dès les premières pages on peut lire :
« Le loisir et le repos, la paix du séjour, l’aménité des champs,la sérénité des cieux, le murmure des fontaines, le calme de l’esprit, toutes choses qui concourent à ce que les muses les plus stériles se montrent fécondes et montrent au monde ravi des fruits merveilleux qui le comble de satisfaction. »
La décroissance, oui, mais avec le murmure des fontaines et le calme de l’esprit...
                                                                                                                                     Alain Véronèse.
 


 
 

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Commentaires
O
Je ne vois pas en quoi qualifier de "merde" des boulots comme marketeurs, travail dans le nucléaire, production et diffusion de pesticides, téléopérateurs qui font chier le monde dix fois par jour pour nous proposer des offres dont on n'a rien à faire, etc...serait raciste !<br /> <br /> Et vous ce n'est pas la peine d'écrire des bétises !
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