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Décroissance Ile de France
11 juillet 2020

«Le mouvement Black Lives Mattern’améliore pas la situation concrète desminorités américaines»

Aux Etats-Unis, 93 % des Noirs victimes d’un homicide sont tués par d'autres Noirs.

 Par Jean-Loup Bonnamy  Ancien élève de l’École normale supérieure,  agrégé de philosophie, et spécialiste de philosophie politique.

Depuis un mois, nous voyons fleurir un peu partout le slogan«Black Lives Matter», inventé en 2013. Ce slogan est juste. Les vies noires comptent. (Toutes les vies humaines comptent d’ailleurs).Et les vies noires reçoivent -hélas- moins d’attention que les viesblanches. Ne le nions pas. Pourquoi le paludisme suscite-t-il si peu d’interêt alors qu’il tue 500 000 personnes par an et qu’un enfant en meurt toutes les deux minutes? Tout simplement parce que les victimes ont le double tort d’être pauvres et de ne pas être blanches.Le slogan a également eu le mérite de dénoncer les dérives criminelles de certains policiers aux États-Unis. Le 25 mai, à Minneapolis, dans le Minessota, George Floyd, père de famille afro-américain, est arrêté. Immobilisé pendant plus de huitminutes avec le genou d’un policier sur la nuque, il signale qu’ilne peut pas respirer («I can’t breathe»). Il finit par succomber.Deux mois plus tôt, en mars, l’ambulancière noire Breonna Taylor était tuée de huit balles par des policiers qui avaient fait irruption en pleine nuit dans son domicile par erreur. Ils étaient venus arrêter son voisin, voisin dont on découvrira ensuite qu’il n’habitait plus l’immeuble depuis plusieurs semaines et était déjà en prison à ce moment-là pour un autre motif. En août 2014, dans le Missouri, Michael Brown, un afro-américain de 18 ans, était abattu par la police alors qu’il n’était pas armé, ne présentait aucune menace et avait levé les mains. L’abandon des poursuites contre l’auteur des tirs avait déjà provoqué une grande vague de colère. Aux États-Unis, le problème est donc bien réel et structurel,même s’il ne concerne qu’une minorité de policiers.

 

Pour l’instant, les médias ne s’intéressent à lavie des Noirs que quand ils sont tués par desBlancs.

Pourtant, paradoxalement, il n’est pas certain que la vague d’indignation actuelle, parfaitement légitime en elle-même,redonne une vraie visibilité à la vie des Noirs, tant il existe un décalage extraordinaire entre les réactions médiatico-émotionnelles et la réalité. Par exemple, en septembre 2019, enAfrique du Sud, de violentes émeutes xénophobes ont éclaté à Johannesburg et Pretoria. Des Sud-africains noirs se sont emparés de pierres et de barres de fer, puis ont attaqué des campements de migrants où vivaient des réfugiés zimbabwéens. Ils ont également pillé des boutiques tenues par des Nigérians et des Congolais. Denombreux morts furent à déplorer, parfois brûlés vifs avec un pneu et de l’essence. Notons au passage que ce type de violences xénophobes est récurrent en Afrique du Sud. Par ailleurs, la policesud-africaine (essentiellement composée de Noirs depuis la fin de l’Apartheid) est une police extrêmement brutale: tous les jours dessud-africains noirs meurent dans des conditions proches de cellesde George Floyd. Pourtant, curieusement, nous entendons très peuparler de cela et à aucun moment nous n’avons vu d’indignationen Occident. Pas de manifestations. Pas de genou à terre. Plusétrange encore, au Soudan du Sud (pays devenu indépendant en2011), une guerre civile fait rage depuis décembre 2013 entredeux ethnies rivales: les Nuers et les Dinkas. Ce conflit -qui risquede se transformer en génocide à n’importe quel moment- a déjàfait des dizaines de milliers de morts et un million de déplacés.Tout cela dans l’indifférence générale. Il en va de même pour leNord Kivu: cette province de l’est de la République Démocratiquedu Congo ne cesse de s’enfoncer dans le cauchemar et dans l’enfer d’une guerre qui dure depuis 1998 et a déjà fait plusieurs millions de morts. Et ce, sans déclencher la moindre émotion dans nossociétés. En un mois, les médias ont consacré bien plus d’attentionà la mort de George Floyd et à ses conséquences directes etindirectes qu’ils n’en ont porté à la Guerre du Kivu et à sesmillions de morts depuis 22 ans. Ils sont aussi parfaitementsilencieux sur la famine qui menace l’Afrique dans les mois àvenir (à cause des invasions de criquets et des désordreslogistiques et économiques crées par la crise du confinement) etqui risque de causer des millions de morts, dont des centaines demilliers d’enfants. Pour l’instant, les médias ne s’intéressent à lavie des Noirs que quand ils sont tués par des Blancs (ce qui est en fait statistiquement très rare). Et cela contribue à invisibiliserencore davantage la vie des Noirs.Ce constat ne se limite d’ailleurs pas à l’Afrique. Aux Etats-Unis, 93% des Noirs victimes d’un homicide sont tués par d’autres Noirs. S’il est normal de condamner le meurtre ignoble et tragique de George Floyd, il est curieux de voir nombre de personnes s’enprendre à la police américaine dans son ensemble et ne rien diresur les gangs, alors que les gangs tuent bien plus de Noirs (et demanière bien plus «systémique») que ne le fait la police. Si nouspensons véritablement que «Black Lives Matter», alors nous devons nous intéresser à TOUTES les vies noires et ne pas sélectionner une toute petite minorité d’entre elles à cause d’arrière-pensées idéologiques.

 

La vie des Noirs n’aurait d’intérêt que quand elle viendrait valider l’idée d’un « racismesystémique » des sociétés occidentales.

Derrière cette volonté de ne s’intéresser aux Noirs que lorsqu’ils sont tués par des Blancs, il existe un véritable arrière-fond raciste,non seulement raciste anti-blancs, mais aussi et surtout raciste anti-Noirs: la vie des Noirs n’aurait d’intérêt que quand elle viendrait valider l’idée d’un «racisme systémique» des sociétésoccidentales.Une telle vision est en fait le fruit de l’ethnocentrisme délirant quicaractérise l’Occident. L’Occident pense qu’il est le centre del’Histoire, que tout tourne autour de lui et que tout ce qui arrivedans le monde (bon ou mauvais) est de son fait. Dans le passé,cette «folie des Blancs» (pour reprendre une expression employéepar l’écrivain André Malraux dans son roman La Voie royale, qui se déroule dans l’Indochine coloniale) a poussé l’Occident à secroire supérieur aux autres civilisations, à broyer la diversité dumonde et à coloniser une bonne partie du globe. Aujourd’hui, le même ethnocentrisme pousse certains à considérer que l’Occident est la source de tous les maux. Dans la vision ethnocentrique, peu importe que l’Occident soit défini comme supérieur (laColonisation) ou comme coupable (la repentance), il doit toujoursêtre le pivot de l’Histoire. Rien ne saurait arriver en dehors de lui.L’Occident a beaucoup de mal à admettre qu’il n’est qu’une civilisation comme les autres et parmi d’autres: il préfèrera même parfois s’enfermer dans la repentance et dans une culpabilité imaginaire (mais qui lui permettent de rester l’acteur central)plutôt que de le reconnaître. Egocentrique, il ne s’intéresse à la viedes Noirs que quand ce sont des Blancs qui sont les assassins.Comme l’écrit l’historien Gabriel Martinez-Gros: on «pose uneéquivalence entre Histoire et Occident. Selon cette logique, toutel’histoire, surtout quand elle est criminelle, est faite par l’Occident.Lorsque quelque chose de mal se passe, c’est donc l’Occident qui estresponsable. Comme si rien ne pouvait advenir sans nous. Or,  ce n’est absolument pas le cas. Notre impérialisme absolu sur l’histoire nous conduit à une culpabilisation absolue de nous-mêmes et à unevictimisation tout aussi absolue d’autrui».

 

L’idéologie décoloniale infantilise les populations non-blanches et les dépossède deleur Histoire, de leur parole, de leur action.

Le plus grand paradoxe est que la mouvance «décoloniale», qui constitue la pointe avancée des événements actuels, n’a absolument pas décolonisé son imaginaire et continue d’imaginer que le «Grand Méchant Occident» est à l’origine de tous les maux dont souffre le monde. Or, une telle vision, en plus d’êtretotalement fausse sur le plan factuel, est paternaliste: elle infantilise les populations non-blanches et les dépossède de leur Histoire, de leur parole, de leur action. On l’a bien vu dans certaines vidéos récentes. À Chicago, une femme noire s’oppose aux militants de l’ultra-gauche, déclarant: «Chaque jour des jeunes noirs sont tués par des gangs à Chicago. Où sont les militants deBlack Lives Matter? Quand des Noirs tuent des Noirs, les militants Black Lives Matter ne viennent pas faire ce bazar.» Une militante(blanche) lui fait la leçon et lui répond de manière surréaliste.Complètement déconnectée des réalités du ghetto noir, où les meurtres intra-communautaires sont en effet quotidiens, elle lui fait la leçon et lui répond dans un jargon d’universitaire: «Mais que faîtes-vous de l’oppression systémique?». De même, desmilitants décoloniaux (blancs), voulant déboulonner la statue deFrederick Douglass (ancien esclave noir et militant abolitionniste!), se sont opposés à des guides touristiques noirs qui ont vaillamment défendu la statue. Si elles n’étaient pas accompagnées d’explications, les images feraient vraiment penser que les manifestants sont des suprémacistes blancs racistes et non pas des militants de gauche agissant au nom de l’antiracisme etprétendant que «Black Lives Matter». Mais cette ressemblance n’a rien d’un hasard, car suprémacistes blancs et militants décoloniaux partagent le même imaginaire ethnocentrique selon lequel l’Homme blanc serait au centre de tout (soit pour être supérieur, comme le pensent les suprémacistes, soit pour faire lemal comme le pensent les décoloniaux), ce qui privemécaniquement les Noirs de toute histoire autonome. C’est ce qu’abien souligné, en France, l’écrivaine (noire) Tania de Montaigne,fustigeant le concept de «privilège blanc» défendu récemment parla réalisatrice et militante décoloniale (blanche) VirginieDespentes. Tania de Montaigne voit dans cette notion un fantasmeraciste qui ne correspond à rien de réel et qui, sous prétexte d’anti-racisme, réédite inconsciemment le discours racistetraditionnel de la hiérarchie des races, plaçant les Blancs au sommet d’une pyramide, et fait les non-Blancs comme d’éternelsmineurs, toujours victimisés et qui devraient être aidés aveccondescendance.Il en va de même dans les discours sur l’esclavage et lacolonisation. Comme le souligne dans les colonnes du Figaro,l’historien Pierre Vermeren,: «La guerre et l’esclavage appartiennent de manière continue à la longue histoire des sociétés humaines (...) Aujourd’hui, il subsiste près de 46 millions d’esclaves dans le monde, dont la moitié en Asie (Chine, Inde et Pakistan) et près d’une autre en Afrique, au Sahel notamment. Lessociétés de la péninsule Arabique sont également concernées.» Et Pierre Vermeren nous rappelle qu’en ce qui concerne l’esclavageafricain, il a existé trois traites distinctes: la traite européenne à destination des Amériques (où des Africains vendaient aux Européens les captifs issus de tribus rivales, car on oublie tropsouvent de dire que si des Européens ont acheté des esclaves, c’est bien que quelqu’un les leur avait vendus sur place), la traite arabo-musulmane (à propos de laquelle les travaux de l’historien sénégalais Tidiane N’Diaye ont démontré que dix-sept millions de victimes noires furent asservies par les Arabes, parfois mutilées et assassinées, pendant plus de treize siècles sans interruption) et la traite interne à l’Afrique subsaharienne (qui continue encore aujourd’hui et qui fut combattue jadis par les colonisateursFrançais et Britanniques, la colonisation ayant globalement eu lieu après que ces deux pays eurent aboli l’esclavage). Mais là encore, l’Occident ne veut pas admettre l’extrême banalité historique de la guerre et de l’esclavage. Il veut en avoir lemonopole. Il préfère être pleinement coupable et se sentir ainsitoujours à part plutôt que de se trouver commun, rangé au côté des autres. Ainsi les traites d’esclaves commises par d’autres et où il n’a pris aucune part ne l’intéressent pas. Plutôt que de lutter concrètement contre l’esclavage actuel en Libye ou en Maurétanie, on préférera donc se flageller en s’en prenant à Colbert (alors que le Code noir ne représente qu’une infime partie de la vie et de l’œuvre de ce grand serviteur de l’État, les statues à son effigie honorant son rôle dans la construction de l’administration française et nullement son rôle supposé dans latraite esclavagiste, qui d’ailleurs ne posait pas de problèmes moraux à l’époque).

 

Plutôt que de lutter concrètement contre l’esclavage actuel en Libye ou en Maurétanie, onpréférera se flageller en s’en prenant à Colbert.

Le plus dramatique est que toute ces actions hystériques, quisapent la paix sociale, n’améliorent absolument pas la cause des Noirs. Si les vies noires comptent vraiment, alors, plutôt que dedéboulonner des statues, les militants du Black Lives Matter(blancs pour une grande partie d’entre eux) feraient mieuxd’alerter l’opinion sur les massacres inter-ethniques en Afrique ou d’aller sur place pour lutter contre les maladies et la famine. Ouplus simplement, ils pourraient aller dans les ghettos noirs desÉtats-Unis pour protester contre la tyrannie des gangs, faire du soutien scolaire pour les enfants, distribuer de la nourriture et assister la population. Il faudra bien le dire un jour: Philippe deVilliers, en mettant sur pied un programme de co-développement humanitaire avec le Bénin lorsqu’il était président du conseilgénéral de Vendée, a fait bien davantage pour les vies noires queles déboulonneurs de statue.De même, certaines universités américaines décident de retirer certains auteurs de leurs programmes sous prétexte que les hommes blancs sont trop représentés. Comme le faisait remarquer Christopher Lasch dans La Révolte des élites, ce genre de décisions prises par des gauchistes blancs généralement issus de la bourgeoisie, n’améliore absolument pas la situation concrètedes minorités. Il serait plus pertinent au contraire de garder la culture classique intacte et de la diffuser à tous, Noirs compris. Etcomme le fait remarquer au Figaro, Willfred Reilly, professeur afro-américain de sciences politiques, à propos de l’hystérie actuelle: «Tout cela ne va pas améliorer les scores des minoritésaux tests universitaires.»Mais ce racisme anti-Noir inconscient ne se limite pas à la seulesphère «décoloniale». Ainsi Joe Biden, invité le 22 mai sur uneradio noire, par un animateur noir, a déclaré: «Si vous n’arrivez pas à vous décider entre moi et Trump, c’est que vous n’êtes pas réellement Noir.» Pour Biden, les électeurs noirs semblent être untroupeau de moutons, privés de tout libre arbitre politique.Pour sortir de cette logique mortifère, les acteurs politiques et médiatiques occidentaux doivent accepter de sortir de l’idéologieet de la dictature de l’émotion pour renouer avec les faits. En auront-ils le courage?

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