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Décroissance Ile de France
27 janvier 2020

Quel avenir pour le nucléaire ?

 

Marie-Christine Gamberini, des Amis de la Terre Midi-Pyrénées

Intervention au 22e colloque du COPRAE « Quelles énergies pour demain ? » 15 octobre 2008 – Salle Antoine Osète 31000 Toulouse

« J'ai toujours veillé à ce que nucléaires civil et militaire aillent de pair... Ce serait la mort du deuxième si le premier disparaissait. » Général Charles Ailleret, 1968

I – Réacteurs nucléaires en service aujourd'hui

Début septembre 2008, il y avait 439 réacteurs* électronucléaires en service dans le monde... soit 5 de moins que le maximum de 444 enregistré en 2002. (Chiffres à comparer aux plus de 2 000 réacteurs qu'annonçaient, pour le début du XXIe siècle, les agences officielles de l'énergie dans les années 70.)
146 de ces 439 réacteurs se trouvent dans l'Europe des 27 (contre 177 en 1989 ; 151 en 2003).

59 sont actuellement exploités en France (en fait, 58 Réacteurs à Eau sous Pression + le vieux surgénérateur Phénix, temporairement remis en service à des fins expérimentales).

Or avec leur capacité totale installée de 372 GW, ces 439 réacteurs n'assurent plus que 2,4 % de la consommation finale mondiale d'énergie**.
On peut donc difficilement prétendre que, plus d'un demi-siècle après le premier couplage au réseau électrique d'un réacteur nucléaire (en 1954 en Union soviétique, année même où le commissariat états-unien à l'énergie atomique s'empressait de proclamer que l'énergie nucléaire serait bientôt «
too cheap to meter » : trop bon marché pour installer des compteurs), l'électronucléaire ait connu un développement fulgurant et moindrement répondu à ses promesses.

Contrairement au nombre de réacteurs, la puissance installée à légèrement cru ces dernières années. Cela vient de la taille des réacteurs arrêtés, inférieure à celle des nouvelles unités, et aux accroissements de puissance de beaucoup d'anciens réacteurs, par diverses modifications techniques.
L'augmentation globale de capacité a été de : 3 GW par an de 2000 à 2004, puis 2 GW par an jusqu'en 2007, et 0,5 GW sur les 8 premiers mois de 2008. (Chiffres à comparer avec les quelque 150 GW par an d'accroissement de capacité de production électrique annuelle mondiale sur la période pour l'ensemble des nouvelles centrales, toutes sources d'énergie confondues.)

Bien que ces 372 GW nucléaires pour 439 réacteurs soient répartis dans 31 pays***, les trois quarts de la production se concentrent dans six pays seulement : USA (103 réacteurs en service), France (59), Japon (55 jusqu'à juillet 2007, date de l'arrêt brutal et sine die des 7 réacteurs de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, la plus grosse du monde, pour cause de tremblement de terre), Allemagne, Russie et Corée du Sud.

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(*) Indépendamment des quelque 280 réacteurs atomiques dits « de recherche » répartis sur la planète (chiffre qui grimpe jusqu'à environ 600 si l'on compte aussi les anciens réacteurs fermés) et des 220 réacteurs nucléaires qui propulsent des navires militaires et des sous-marins atomiques. Sans compter non plus les autres types d'installations nucléaires (lieu de stockage de matières radioactives, usines de fabrication de combustible, stériles de mines, véhicules de transport, centres d'irradiation médicale, alimentaire ou autres...)

(**) L'électricité représentant à l'échelon mondial 16 % de la consommation finale, et le nucléaire assurant 15 % de la production d'électricité mondiale. Le même type de calcul donne, pour l'Europe, 5 % de la consommation finale d'énergie assurée par le nucléaire (18,3 % de l'énergie finale, dont 29,5 % de production nucléaire) et, pour la France, 14 % seulement de l'énergie finale.

(***) Sur les 191 que comptent les Nations unies.

On notera que trois de ces six Etats (USA, France, Russie) font partie des 5 puissances réputées légitimement détentrices d'armes nucléaires*. On retrouve d'ailleurs grosso modo les mêmes pays dans le peloton de tête des exportateurs d'armes, que ce soit en parts du volume mondial (Russie 31,9 %, USA 30,7 %, France 7,5 %, Allemagne 5,8 % - suivis par GB, Ukraine, Canada, Chine, Suède, Israël) ou en exportations d'armes par habitant (Russie, France, USA, Allemagne, puis GB)**.

Quelques rappels chronologiques seront sans douteutiles à ce stade.

Le premier essai de bombe A soviétique eut lieu en août 1949, trois ans seulement après les bombardements de Nagasaki et Hiroshima.
Panique alors chez les Américains, qui pensaient avoir dix ans d'avance sur les « communistes ».
En novembre 1952, la première bombe H américaine explose.

Dès le 12 août 1953, c'est le tour de la première bombe H soviétique.
Le 8 décembre 1953, le président Eisenhower prononce devant les Nations unies le discours de lancement de son fameux programme « Atoms for Peace ». Et en septembre1954, il soulève la première pelletée de terre des fondations du réacteur électronucléaire de Shippingport, un démonstrateur de 60 MW dont la technologie dérivait des réacteurs de sous-marins atomiques. Les Russes seront toutefois, semble-t-il, les premiers à coupler, cette même année 1954, un réacteur nucléaire, Obninsk, au réseau électrique.

C'est alors qu'intervient Marion King Hubbert, dont le désormais célèbre « pic » n'a pourtant rien d'une nouveauté. Au printemps 1956, Hubbert présente son rapport Nuclear Energy and the Fossil Fuel devant un aéropage... de pétroliers. D'après lui, le « peak oil » sera atteint aux Etats-Unis dans les années 70. Le pétrole y deviendra donc plus cher à extraire... et il faudrait que l'énergie nucléaire soit prête à prendre le relais.

Dès lors, le cadre juridique se met en place très vite.

Ainsi, en 1957, le Price Anderson Act limite drastiquement la responsabilité civile des constructeurs et exploitants de centrales nucléaires aux USA (il sera repris au niveau international, en juillet 1960, par la Convention de Paris, six mois après l'explosion en Algérie de la première bombe A française).
En mai 1959, l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) - créée deux ans plus tôt - signe avec l'OMS (Organisation mondiale de la santé) un incroyable accord de subordination, sans équivalent dans l'histoire des agences internationales: cet accord interdit en effet à l'OMS de publier quoi que ce soit sur les effets de la radioactivité sans l'aval préalable de l'AIEA !

Plus près de nous, en France, en 1968, alors que d'aucuns s'imaginaient faire la révolution, d'autres, à l'évidence, ne perdaient pas le nord... Ainsi, le 21 octobre - quelques mois après l'entrée en vigueur (le 1er avril !) de la Convention de Paris et l'explosion (en août) de la première bombe H française au-dessus de l'atoll de Fangataufa - parut au Journal officiel la loi sur la limitation (drastique) de la responsabilité civile des exploitants de centrales nucléaires. Bref, chez nous aussi, le régime dérogatoire au droit commun était désormais en place, laissant le champ libre au développement industriel « civil » de l'énergie atomique.

On peut encore rappeler que 1958 fut l'année de la déclassification des recherches sur la fusion nucléaire « contrôlée » (tokamaks...). Il était alors clair pour les militaires que lesdites recherches n'étaient pas près d'aboutir (le premier brevet de réacteur à fusion date de 1946), contrairement aux applications explosives de la fusion.
50 ans plus tard, avec ITER, la fusion contrôlée (inépuisable objet de « coopération internationale » et de tractations diplomatiques, que l'on ressort lors de toutes les crises internationales, comme le fit Gorbatchev pendant la Glasnost en 1985 et 1986) est toujours pour dans 50 ans... pour les plus « optimistes ». (Chiffre à comparer avec les quelques années à peine, qui, en matière de fission, séparèrent la réalisation de la première pile atomique – Fermi à Chicago, 1942 - de ses premières applications industrielles.)

Mais revenons à nos réacteurs électronucléaires à fission.

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(*) Puissances nucléaires déclarées signataires du TNP (Traité de non prolifération nucléaire) : USA, France, Russie, Grande-Bretagne, Chine. S'y ajoutent 3 Etats non signataires, mais officiellement détenteurs d'armes nucléaires : Israël, Inde, Pakistan.

(**) Source Sipri 2006, pour la période 2000-2004.

II – Réacteurs à l'arrêt ; réacteurs en construction

A ce jour, 117 réacteurs - de quelques dizaines à quelques centaines de mégawatts, pour l'essentiel - sont à l'arrêt définitif dans le monde (NB : sans qu'aucun démantèlement complet de type « retour à l'herbe » ait eu lieu jusqu'ici). 35 sont en revanche indiqués comme étant en cours de construction. Sur ces 35 réacteurs, 11 sont en chantier depuis plus de 20 ans (dont le réacteur US Watts Bar-2, démarré en 1972, et le réacteur iranien Busheer-1, lancé en mai 1975). Pour 15 autres, aucune date officielle de début de construction n'a encore été fixée...

Il faut néanmoins souligner au passage que les chantiers interminables ou douteux ne représentent pas une perte d'argent pour tout le monde. Le cas de la centrale nuclaire de Bataan, aux Philippines, est souvent cité comme exemple de « dette odieuse ». Bâtie par Westinghouse sur une faille sismique, on y a répertorié plus de 4 000 défauts de construction. Nonobstant la suspension de son démarrage il y a plus de 20 ans, dès la fin du régime de Marcos, le remboursement des créanciers continuait encore il y a peu à plomber la dette extérieure du pays.

Comme quoi une centrale nucléaire ne sert pas qu'à produire de l'électricité.

Par ailleurs, l'âge moyen des réacteurs à l'arrêt définitif dans le monde est de 22 ans.
Même en supposant que, par extraordinaire, la durée de vie moyenne des réacteurs actuellement en service puisse être prolongée jusqu'à 40 ans sans accidents gravissimes (nonobstant les 32 ans d'âge moyen, déjà optimistes, prévus en Allemagne), il y aurait, ne serait-ce que pour maintenir la capacité existante, l'équivalent de 339 réacteurs à remplacer d'ici à 2030 (ce qui représenterait de toute manière une baisse de la part du nucléaire dans la production électrique mondiale).

Or les verrous industriels, sociaux, financiers, à la construction d'un nombre important de nouveaux réacteurs, ne serait-ce qu'au rythme adopté dans les années 70 et 80, sont multiples.
Ainsi, une seule aciérie au monde, qui appartient aux Japonais, est pour l'heure en mesure de fondre les lingots creux de 450 tonnes nécessaires pour les couvercles de cuve de nouveaux réacteurs de type EPR. Mais ce genre d'usine ne peut fournir que l'équivalent de 4 ou 5 générateurs de vapeur par an, et n'approvisionne pas uniquement l'industrie nucléaire... Or ses carnets de commande sont déjà bien pleins.

Autre problème majeur, dans les centrales nucléaires existantes, la main d'oeuvre qualifiée commence à manquer, le personnel expérimenté atteignant l'âge de la retraite. (A quoi s'ajoutent notamment en France les départs anticipés pour cause de nouvelles méthodes managériales chez EDF et l'augmentation de la sous-traitance – les intervenants extérieurs étant passés de 20 % au début des années 80 à près de 80 % aujourd'hui).

Même difficulté pour le recrutement de jeunes cadres, ingénieurs et scientifiques de qualité, l'industrie nucléaire ayant perdu de son lustre, et les meilleurs étant désormais attirés par d'autres filières. EDF a même reconnu lors du « débat public » qu'elle construisait l'EPR à perte pour maintenir la filière et les « compétences »... (dont toute l'histoire du chantier en Finlande, avant même celui de Flamanville, montre que, en effet, à supposer qu'elles aient été naguère plus brillantes, elles sont bien écornées).

Enfin, les investisseurs privés, échaudés par le bilan peu reluisant des décennies précédentes, les promesses non tenues en matière de gestion des déchets, la méfiance croissante des riverains et surtout la longueur du temps de retour sur investissement du nucléaire comparé à d'autres sources de production électrique, se montrent fort peu motivés, en dépit d'effets d'annonce répétés.

Quant aux garanties et subventions plus ou moins déguisées des Etats, et notamment de la France, pourront-elles se maintenir longtemps dans les proportions nécessaires pour la « renaissance » affichée, alors que les crises financières et la remise à flot des banques vont déjà largement ponctionner les deniers publics ?

Conclusion

On a vu le peu de crédit qu'il convenait d'accorder à la thèse d'une « renaissance du nucléaire », en matière de production électrique en tout cas.
Peut-on en conclure pour autant que le nucléaire n'a pas d'avenir et finira par disparaître tout seul, pour le plus grand profit de l'humanité et de l'écologie ?

A vrai dire, le problème de fond qui se pose aujourd'hui est bien plus celui de l'avenir de l'humanité en contexte de production et dissémination exponentielle et généralisée (délibérée et accidentelle, sporadique et quotidienne) de centaines de radioéléments artificiels, dont le redoutable plutonium n'est qu'un des plus toxiques. A cet égard, la vétusté croissante des installations nucléaires est un paramètre qu'il importe de garder en tête. Paramètre dont l'inexorable augmentation des événements climatiques extrêmes (canicules, inondations, ouragans, tempêtes...) ne peut hélas qu'accroître la gravité à très court terme.

Sources bibliographiques

Mycle Schneider & Antony Froggatt, World nuclear Industry Status Report 2007 (Etat des lieux 2007 de l'industrie nucléaire dans le monde), rapport commandé par Les Verts - Alliance Libre européenne au Parlement Européen (+ les 3 mises à jour de septembre 2008 disponibles sur le site du Bulletin of the Atomic Scientists)

Nucléaire : la grande illusion – promesses, déboires et menaces ; cahier de Global Chance n° 25, septembre 2008 Richard Heinberg, Pétrole, la fête est finie ! Avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier (traduit de

l'anglais par Hervé Duval), éditions Demi Lune, octobre 2008
COT,
Un monde au pas – les nouveaux visages de la militarisation, APEL 2007 (préfacé par Patrice Bouveret)

Et aussi :

Nucléaire, comment en sortir ? Etude sur des sorties du nucléaire en 5 ou 10 ans, automne 2007, éditions du Réseau Sortir du nucléaire.

Wladimir Tchertkoff, Le crime de Tchernobyl, Actes Sud 2006

Stéphane Lhomme, L'insécurité nucléaire – Bientôt un Tchernobyl en France ? Yves Michel 2006

Bruno Barrillot, Le complexe nucléaire – Des liens entre l'atome civil et l'atome militaire, Obsarm/CDRPC 2005

Christian Bataille et Claude Birraux, Rapport sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs, OPECST, 2003

Mary Byrd Davis, La France nucléaire, matières et sites, édité par Wise-Paris 2002 (la version internet est régulièrement mise à jour)

Annie Thébaud-Mony, L'industrie nucléaire – Sous-traitance et servitude, Collection Questions en Santé publique, EDK-Inserm 2000.

Françoise Zonabend,La presqu'île au nucléaire, Odile Jacob/Seuil 1989
Louis Puiseux,
La babel nucléaire – énergie et développement, Galilée 1977
Bertrand Goldschmidt, L'aventure atomique, Fayard 1962
Colonel (puis général) Ailleret, “L’arme nucléaire, arme à bon marché”,
Revue de défense nationale, octobre 1954.

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